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Intervention de Alain Vidalies

Réunion du 4 décembre 2007 à 15h00
Ratification de l'ordonnance du 12 mars 2007 relative au code du travail — Exception d'irrecevabilité

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAlain Vidalies :

C'est une question de fond. Ce critère est largement critiquable. Aucune disposition législative ne permet à l'évidence cet ajout surprenant.

De même, le Gouvernement a exclu de l'ordonnance de codification les dispositions relatives à la clause de non-concurrence particulières à l'Alsace-Lorraine. On note aussi l'absence de l'article relatif au fonds pour l'emploi dans les départements d'outre-mer.

Cette liste, déjà fort longue, n'est pas exhaustive et révèle, à l'évidence, l'absence de respect du droit constant. Lorsque le Gouvernement est habilité à opérer une codification à droit constant sur le fondement de l'article 38 de la Constitution, il doit respecter les exigences constitutionnelles qui ont notamment été fixées par la décision du Conseil constitutionnel du 16 décembre 1999.

Le Conseil constitutionnel a notamment précisé : « Cette finalité répond à l'objectif de valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi, qu'en effet l'égalité devant la loi énoncée par l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et la garantie des droits requise par son article 16 pourraient ne pas être effectives si les citoyens ne disposaient pas d'une connaissance suffisante des normes qui leur sont applicables, qu'une telle connaissance est en outre nécessaire à l'exercice des droits et libertés garantis tant par l'article 4 de la Déclaration que par son article 5. »

Je rappelle que la jurisprudence constitutionnelle considère également que l'égalité devant la loi et la garantie des droits prévue à l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ne seraient pas effectives si les citoyens ne disposaient pas d'une connaissance suffisante des règles qui leur sont applicables et si ces règles présentaient une complexité excessive au regard de l'aptitude de leurs destinataires à en mesurer utilement la portée.

Le rappel de ces principes a été notamment énoncé dans la décision du 29 décembre 2005 du Conseil constitutionnel invalidant une partie des dispositions relatives au bouclier fiscal.

S'agissant du code du travail, qui concerne la vie au quotidien de 21 millions de salariés et de toutes les entreprises, les principes de l'accessibilité et d'intelligibilité de la loi s'imposent avec plus de force.

Or ce texte, dont l'un des auteurs écrit en préambule qu'il mettra plusieurs années à révéler ses secrets et dont la doctrine souligne le caractère confus et éclaté, ne répond à l'évidence pas à ces exigences.

Prenons ainsi l'exemple des conventions de forfait. Dans la mesure où elles figurent actuellement dans la section consacrée aux cadres, leur extension aux salariés non cadres est envisagée comme une exception à la règle générale, qui réserve ce décompte particulier du temps de travail aux cadres. Or le nouveau texte choisit de codifier séparément la faculté de conclure des conventions de forfait avec des salariés non cadres. Si la mise en place d'un accord collectif reste toujours nécessaire, le contenu de cet accord devra-t-il respecter les clauses obligatoires prévues pour la mise en place d'une convention de forfait pour les cadres ? La réponse est évidente dans l'ancien code, puisqu'il s'agit du même article. Elle va au contraire entraîner une querelle d'interprétation dans le nouveau code. Cet exemple résume à lui seul toutes les critiques, dès lors que la loi devient manifestement confuse et que le droit constant est bafoué – à moins qu'il ne s'agisse là d'un des secrets dont parle l'auteur de l'avant-propos.

Sur la question de l'accessibilité, l'application de la règle « l'indicatif vaut impératif » a conduit les rédacteurs à supprimer dans le nouveau code toutes les formules impératives du type « l'employeur doit » ou « l'employeur est tenu de ». Je sais bien que cette rédaction est issue du guide de logistique, mais l'objectif d'accessibilité est-il atteint lorsqu'on substitue à des termes accessibles et intelligibles par tous les utilisateurs une rédaction empruntant une convention d'écriture connue de quelques-uns seulement ? Le résultat sera globalement inverse, avec des erreurs d'interprétation aussi bien chez les salariés que chez les employeurs, et donc des contentieux inutiles. Qui peut prétendre, dans ces conditions, que les objectifs d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi sont remplis ?

Le deuxième motif d'inconstitutionnalité est le non-respect du droit constant, dont j'ai donné de nombreux exemples. Dans sa décision du 16 décembre 1999, le Conseil constitutionnel a précisé que les modifications rendues nécessaires pour « harmoniser l'état du droit » doivent se borner à remédier aux incompatibilités pouvant apparaître entre les dispositions soumises à codification.

Or, lorsque le nouveau code n'inscrit la priorité d'embauche pour les salariés victimes d'un licenciement économique que dans le cadre des licenciements portant sur plus de dix salariés, il modifie le droit constant. Selon l'ancien code, en effet, tous les salariés victimes d'un licenciement économique bénéficiaient de la priorité de réembauche auprès de leur employeur ; dans la nouvelle rédaction, ce droit ne concerne plus que les salariés concernés par un licenciement collectif de plus de dix salariés. Ce n'est bien sûr plus du droit constant mais une régression sociale !

De même, lorsque les articles sur le temps de travail sont désormais intégrés à ceux sur la rémunération, c'est un choix politique qui modifie le droit constant. Que dire enfin de l'intégration de solutions jurisprudentielles dans le texte de la loi, alors que cette prérogative n'appartient qu'au Parlement et qu'elle ne peut résulter que du vote d'une loi, à l'issue d'une procédure législative normale. Vous m'avez bien compris : on trouve dans ce texte des solutions jurisprudentielles codifiées, alors que ce qui peut être inscrit définitivement dans un code, c'est uniquement ce que nous votons ici. La jurisprudence, en effet, est par définition susceptible d'évoluer, et des décisions juridiques n'ont pas vocation à s'inscrire dans la partie législative d'un code. C'est une démarche qu'ont dénoncée plusieurs commentateurs

En définitive, cette procédure de recodification est un rendez-vous manqué. Le texte est déjà largement critiqué, parfois incompréhensible. Il sera d'une utilisation complexe pour tous les acteurs de la vie sociale. Il ouvre la porte à des interprétations nouvelles et modifie parfois carrément le fond du droit. Aucun des impératifs fixés par le Conseil constitutionnel, au premier rang desquels le droit constant, la lisibilité et l'accès au droit, ne sont respectés. Dans ces conditions, je vous demande, mes chers collègues, de voter l'exception d'irrecevabilité présentée par le groupe socialiste radical et citoyen. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

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