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Intervention de Arnaud Montebourg

Réunion du 10 octobre 2007 à 15h00
Lutte contre la corruption — Question préalable

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaArnaud Montebourg :

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, vous aurez compris que l'ensemble des députés du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche se réjouit des avancées en droit interne contenues dans ce texte, inspiré d'un grand mouvement de progrès du droit international en matière de lutte contre la corruption.

La définition des délits et les instruments de coordination entre les pays progressent. Notre pays y participe depuis longtemps, et je tiens à rendre hommage à cette tribune à deux garde des sceaux qui ont engagé ce grand cycle juridique, judiciaire et politique : Elisabeth Guigou et Marylise Lebranchu, ici présente. Ce mouvement se poursuit et nous nous en réjouissons.

L'offensive a été engagée sur le terrain diplomatique il y a une dizaine d'années à l'intérieur de l'Union européenne. Je me souviens, monsieur le rapporteur Hunault, avoir travaillé avec vous, ainsi qu'avec François d'Aubert, ancien ministre et membre de votre parti, au sein de la mission d'information parlementaire sur la lutte contre le blanchiment sur le continent européen. Sur tous ces sujets, nous avons très souvent réussi à construire des unanimités politiques, à aboutir en tout cas à des quasi-consensus.

Je tiens également à saluer le travail du rapporteur, qui a enrichi ce texte de façon constructive, avec des amendements trans-partisans, que nous avons votés à l'unanimité en commission des lois. C'est un fait suffisamment rare pour, que du haut de cette tribune, nous prenions la peine de le signaler.

Mais venons-en à la nature réelle, politique de l'évolution juridique que nous allons consacrer dans ce texte tout à l'heure. C'est tout le sens de la question préalable que nous posons devant Mme la garde des sceaux à qui, par ailleurs, nous adressons des encouragements sur ce sujet – faute de lui en adresser sur d'autres : il nous arrive, en effet, de la critiquer, mais nous sommes là dans notre rôle institutionnel.

Force est de reconnaître que les infractions dont nous parlons ont très peu d'implications judiciaires : elles sont très rarement sanctionnées. L'on pourrait même parler d'infractions quasi théoriques, qui sont, au mieux, l'occasion d'affichages magnifiques, de beaux discours à cette tribune. Certes, notre code pénal évolue positivement, mais la réalité dans les contentieux, dans les tribunaux, dans les parquets est d'une tout autre nature. Nous faisons donc la part entre ces infractions quasi théoriques et les infractions périphériques qui ne sont pas dans le « noyau dur » du code pénal qui réprime la corruption – trafic d'influence, corruption active ou passive –, mais qui appellent une répression concrète, laquelle, sur le terrain, est en train de refluer.

La coexistence de l'affichage de lois tout à fait convaincantes et de l'inquiétante faiblesse de la répression est une réalité dans tous les pays. Lorsque l'OCDE a inventé le GAFI, chargé d'enquêter sur ses propres membres et de dresser la liste des territoires qui refusent les coopérations sur le plan judiciaire pour mieux lutter contre la corruption, elle a invariablement été amenée, au fil de ses rapports, à faire les mêmes constats. Premier chapitre : la législation de la lutte contre la corruption est formidable. Deuxième chapitre : la répression est indigente. C'est exactement ce vers quoi vous nous sommes en train de nous diriger en France, et c'est la raison pour laquelle, malgré les compliments que nous vous adressons pour avoir déposé ce projet de loi sur le bureau de notre Assemblée, nous avons des critiques à formuler à l'adresse de votre ministère concernant les pratiques répressives en la matière. La répression est un préalable nécessaire afin que la France soit en mesure d'emboîter le pas et participe à cet effort collectif international qu'une nation comme la nôtre se doit de faire en matière de lutte contre la corruption.

Le Président de la République, – et vous l'avez suivi sans barguigner – a imaginé de mettre en place un groupe de travail relatif à la dépénalisation de la vie des affaires. Qui dit dépénalisation, dit suppression d'infractions pénales. Y en a-t-il en trop dans le code pénal ? Sans doute, et il faudra procéder à ce que, dans un autre domaine, certains élus appellent un tri sélectif – formule au demeurant pléonastique. Bref, cela signifie que l'on fait deux fois le tri : intellectuellement, puis concrètement. Tâche éminemment politique…

Daniel Lebègue, haut fonctionnaire de très grande qualité morale et intellectuelle, qui est à la tête de l'organisation non gouvernementale Transparency international déclarait ne pas imaginer une seule seconde que la France puisse dépénaliser des délits ou des crimes économiques et financiers, tels que la corruption, le détournement de fonds, le blanchiment, l'abus de biens sociaux – le gros mot est prononcé ! Car, vous l'aurez compris, en France, réprimer un pacte de corruption ne se fait jamais par le truchement de l'infraction de corruption, mais toujours par la périphérie, c'est-à-dire par le biais de l'abus de biens sociaux et du recel, qui n'est pas prescriptible dans les mêmes conditions que le pacte de corruption, prescrit par trois ans. Quel sort réservez-vous, madame la garde des sceaux, aux fameux abus de biens sociaux ? Vous n'en avez pas dit un mot dans votre déclaration liminaire.

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