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Intervention de Jean-Michel Clément

Réunion du 6 mai 2008 à 15h00
Adaptation du droit des sociétés au droit communautaire — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Michel Clément :

Madame la présidente, madame la garde des sceaux, madame la rapporteure, le projet de loi qui nous est soumis a plusieurs objets :

La transposition en droit français d'une directive relative aux fusions transfrontalières des sociétés de capitaux ;

La transposition d'une directive modifiant des directives comptables ;

L'adaptation de la législation nationale permettant l'application du règlement du Conseil relatif au statut de la société coopérative européenne ;

Enfin, la modification du code de commerce pour certaines dispositions relatives aux fusions nationales et à la société européenne suite à l'ordonnance de 2004.

Pour technique qu'il soit, et je salue le travail de Mme la rapporteure, ce projet de loi appelle toutefois plusieurs remarques, de forme et de fond, étant entendu qu'en tout état de cause, la parole de la France est engagée lorsqu'il s'agit de transposer en droit interne des textes européens. Mais transposer, c'est aussi réécrire, préciser, améliorer les textes existants, soucis constants que doivent avoir les législateurs que nous sommes, à condition d'être mis dans les meilleures conditions possibles pour y parvenir.

Sur la forme, nous notons avec satisfaction que la procédure d'urgence n'est pas de mise pour l'adoption de ce projet, contrairement à ce qui s'est produit pour d'autres textes d'importance bien supérieure : j'en veux pour preuve l'urgence déclarée le 28 avril dernier par le Gouvernement sur le projet de loi de modernisation de l'économie. Ces deux approches opposées justifient que l'on s'interroge : où est l'essentiel, alors même que notre pays voit ses prévisions de croissance révisées à la baisse et ramenées à 1,6 % cette année, tandis que la Commission européenne estime que la croissance française ne devrait pas dépasser 1,4 % en 2009 ?

Rappelons que la loi du 26 juillet 2005 pour la confiance et la modernisation de l'économie qui a transposé en droit français le régime juridique de la société européenne, en application des règlements et de la directive du 8 octobre 2001, avait été examinée par la commission des affaires économiques. Et même si, comme le président de la commission l'a rappelé, chaque commission permanente décide souverainement de se saisir ou non pour avis de certaines dispositions de textes qui ne lui sont pas renvoyés au fond, il est regrettable que celle des affaires économiques n'ait pas jugé pertinent de se saisir, au moins pour avis, d'un texte qui n'est que le prolongement de la loi de juillet 2005 s'agissant des fusions transfrontalières ou des sociétés coopératives européennes. Le parallélisme des formes eût été certainement préférable pour mener à bien un travail législatif cohérent. Il serait heureux de s'en inspirer dans d'autres cas.

Sur le fond, la société européenne a pour objet d'offrir aux entreprises dont l'activité transnationale s'y prête une formule pour mener à bien la réorganisation de leurs activités à l'échelle communautaire et de permettre aux acteurs économiques d'agir sous la forme d'une seule société opérant par le biais d'établissements dans les États membres. La société européenne offrait déjà de nouvelles possibilités de réaliser des opérations transfrontalières avec plus de simplicité et d'efficacité. La directive que nous transposons, vise à simplifier la réalisation des fusions transfrontalières des sociétés de capitaux au sein de l'Union européenne. Si elles étaient déjà possibles légalement, elles restaient, nous dit-on, juridiquement complexes et économiquement coûteuses.

Cette forme de société vient en fait appuyer les entreprises qui réussissent, mais elle est surtout utile pour accompagner le mouvement de concentration d'entreprises auquel nous assistons aujourd'hui, et qui n'est pas prêt de s'arrêter dans la mesure où les textes que nous votons en faciliteront la pratique.

Nous savons aussi, grâce à la lecture du rapport Lenoir sur le statut d'entreprise européenne du 18 mars 2007 et du présent texte, que les avantages attendus de la société européenne sont multiples : mettre fin à l'anomalie qui empêche une société commerciale de se mouvoir sur le marché, à l'inverse des citoyens et des commerçants individuels ; être applicable à des entreprises de toutes tailles – aux grands groupes, pour appuyer leur stratégie de croissance externe et interne, comme aux PME, pour faciliter leur implantation au-delà de leurs frontières nationales ; assurer, d'un point de vue pratique, la mobilité ; faciliter le financement de projets avec la possibilité de transférer un siège social d'un État à l'autre, solution particulièrement adaptée aux partenariats publics privés à l'avenir, pour des projets Airbus ou même Galileo par exemple.

En réalité, je crains que les directives sur les fusionsscissions transfrontalières ne répondent à une même idéologie et tentent de remédier aux mêmes défauts, même si les sociétés concernées ne sont pas nécessairement des sociétés européennes. Leur transcription en droit interne devrait assez rapidement modifier le droit national des sociétés franco-françaises.

Le complément indispensable de la société européenne aurait été l'harmonisation des bases de l'impôt sur les sociétés. Il est illogique que les sociétés soient soumises à des normes comptables harmonisées, alors que les normes fiscales sont fragmentées et, de plus, souvent opaques. Or cette harmonisation n'existe pas, ce qui laisse entrevoir une concurrence malsaine et un risque de fuites fiscales, par le biais du choix de la forme de la société.

Au surplus, même si les dispositions du présent texte sont moins ambitieuses du point de vue libéral qui est celui du Gouvernement, on peut s'interroger à la lecture du rapport Lenoir. Le cadre est prêt pour toutes nouvelles évolutions de nature à faciliter les phénomènes de concentration ou de répartition spatiale des activités à l'échelon européen.

Ne sommes-nous pas en train de redéfinir le paysage économique de l'Europe et de diviser le travail au plan européen ? Avons-nous pris les mesures qui s'imposent pour faire en sorte que les entreprises françaises ne soient pas les perdantes dans la manoeuvre ? Modifier les structures juridiques de nos entreprises pour les moderniser oui, mais pas pour les fermer demain !

Enfin, le contexte économique pose également la question. Nous savons que la Lorraine replonge. Est-ce le moment de favoriser les concentrations et leur corollaire : les délocalisations que permettront ces restructurations ?

J'en viens à quelques remarques sur les dispositions du projet de loi.

En matière de fusions transfrontalières, si la procédure applicable est celle du droit français, l'élargissement à toutes formes de sociétés commerciales, dont la SARL, et le versement d'une soulte éventuellement due après échange de titres supérieurs à 10 %, quelle que soit la nationalité de la société, illustrent bien la possibilité de concentration en permettant la fusion entre sociétés d'importance très inégale.

S'agissant du droit des salariés, leur implication et leur information tout au long du processus de fusion n'excluent pas pour autant que soit inscrits dans le code du travail des mécanismes protecteurs du « groupe spécial de négociation ». Nous déposerons des amendements en ce sens.

Concernant les garants de la procédure de fusion transfrontalière, la proposition de Mme la rapporteure de confier aux greffiers le soin de procéder à l'ensemble du contrôle formel et de légalité de l'opération de fusion procédait d'un juste équilibre. Le monde notarial à même d'y procéder aurait en réalité été le même que celui auquel il aurait été fait appel pour l'établissement des actes à réaliser. La protection des actionnaires minoritaires, des salariés et des partenaires des entreprises fusionnées passe par le recours à une autorité indépendante, elle-même placée sous le contrôle d'un juge. Il serait maintenant question de revenir sur cette proposition. Pourtant, je vous le dis, madame la rapporteure, nous souscrivons à cette vision du contrôle de légalité, nous croyons que le juge et le greffier sont les garants de toute procédure quelle qu'elle soit, y compris celle-ci, d'autant plus que sa complexité est réelle. Mais nous aurons certainement l'occasion de débattre de ce point lors de l'examen des articles.

S'agissant de la participation des salariés dans les sociétés issues de fusions transfrontalières, le « groupe spécial de négociation » constitue l'originalité du processus. Les salariés qui le composent se doivent d'être assimilés à des salariés protégés. Il convient d'harmoniser clairement leurs statuts dans les sociétés nationales, dans les sociétés européennes et dans les sociétés issues de fusion transnationales. Cette disposition s'impose d'autant plus que l'intervention des salariés est requise tout au long de la procédure transfrontalière.

Enfin, s'agissant de la société coopérative européenne, le projet de loi traduit en droit interne un règlement et une directive européenne de 2003 qui auraient pu, sans la précipitation du législateur en 2005, être transcrits en même temps que les textes parallèles relatifs à la société européenne.

Comme pour la fusion, le droit national reste la référence et le titre consacré à la société européenne s'y appuie autant que possible.

Pour la constitution par voie de fusion, il s'agit d'un texte parallèle à celui prévu pour les fusions transfrontalières et qui appelle les mêmes remarques concernant notamment le contrôle de légalité par les notaires. La commission des lois avait, opportunément, décidé de confier aux greffiers l'ensemble du contrôle. Je ne reviendrai pas sur mes propos précédents.

Pour la constitution par transformation, celle-ci se fait par parallélisme, là encore, avec la transformation des sociétés anonymes en sociétés européennes. Le mouvement de concentration du monde coopératif que connaît notre pays depuis plusieurs années ne pouvait rester à l'écart d'une procédure stricte et encadrée. Il est toutefois regrettable qu'à l'instar du droit des minoritaires dans les sociétés de capitaux, les droits des associés coopérateurs n'aient pas été davantage précisés. La qualité d'associé coopérateur s'accompagne souvent d'engagements à long terne ; une fusion ou une transformation en coopérative européenne devrait pouvoir constituer un motif de retrait ou d'ajustement du comportement contractuel.

Enfin, concernant l'impact sur l'économie des sociétés européennes, les véritables enjeux sont ailleurs que dans la transposition des directives en matière de fusions transfrontalières. Ils résident dans l'absence d'harmonisation fiscale et plus précisément dans l'absence d'harmonisation de l'assiette de l'impôt.

La mobilité dont bénéficie la société européenne lui permet de s'immatriculer dans un État membre plutôt qu'un autre. Or l'état d'esprit de la loi française, que nous complétons aujourd'hui dans le but de rendre la France plus compétitive, démontre bien que les différents États membres se livrent à une réelle compétition pour attirer les entreprises, sources d'emploi et de produit fiscal. Les dirigeants du Royaume-Uni font partie de ceux qui ont manifesté explicitement leur refus d'harmoniser la fiscalité au plan communautaire, préférant maintenir ainsi une compétition entre les États membres. Attendue ou redoutée par les États membres, cette compétition permettra certainement aux entreprises, dont l'imagination et l'habileté ne manquent pas, de trouver parmi vingt-sept régimes différents les solutions les plus adaptées.

En matière fiscale, la tâche reste immense. En dépit d'évolutions intéressantes, comme la proposition de modification de la directive fiscale communautaire sur les fusions qui date de 1990 déjà, l'idée d'un régime fiscal consolidé au plan européen est défendue par tous, sans qu'aucun État n'accepte les remises en cause nécessaires. S'il est vrai qu'il est plus difficile de prendre de telles décisions en période de restriction budgétaire, aucun État membre, et la France en particulier, ne doit perdre de vue qu'une société européenne peut s'immatriculer dans un autre État, comme l'Irlande, le Luxembourg, les Pays-Bas ou le Danemark, où le régime fiscal est aujourd'hui beaucoup plus intéressant pour les entreprises.

Face à l'absence de projet concret en matière d'harmonisation fiscale, l'immobilisme constitue une menace. Il conviendrait plutôt de continuer, au plan communautaire, à travailler dans le sens d'une harmonisation incontournable de la fiscalité, gage de sécurité pour l'économie et les entreprises européennes, et en parallèle, au plan national, à adapter la législation fiscale pour maintenir une certaine attractivité. La présidence française qui s'annonce est une opportunité à saisir.

Parce qu'en réalité le texte proposé ne constitue que le pendant d'un phénomène de concentration des entreprises à l'échelle européenne sans la contrepartie fiscale qu'il suggère de mettre en place parallèlement, le groupe SRC s'abstiendra lors du vote sur ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)

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