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Intervention de Roland Muzeau

Réunion du 4 décembre 2007 à 21h35
Ratification de l'ordonnance du 12 mars 2007 relative au code du travail — Motion de renvoi en commission

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaRoland Muzeau :

Le titre Ier du livre II, intitulé « Obligations du maître d'ouvrage pour la conception des lieux de travail », est subdivisé en plusieurs chapitres : « Dispositions générales », « Aération et assainissement », « Éclairage, insonorisation et ambiance thermique », « Sécurité des lieux de travail », « Installations électriques » ; et le chapitre intitulé « Dispositions particulières en cas de danger grave et imminent et droit de retrait » ne contient, lui, que des dispositions relatives aux obligations d'information des autorités de contrôle et rien, absolument rien, sur le droit de retrait. On pourrait multiplier ce type d'exemples. Tout ce charivari n'est pas exactement le fruit du hasard, la conséquence fortuite et malheureuse d'erreurs d'appréciation ; il vient en soutien, nous l'avons dit, d'un projet politique sur lequel l'examen au fond du nouveau texte ne laisse aucun doute.

Venons-en précisément au fond.

La recodification aura permis, en premier lieu, de déclasser 500 lois en décrets, des décrets qu'il sera désormais facile à l'exécutif de modifier au gré des circonstances et dans la plus grande discrétion, des décrets dont aucun parlementaire ne connaît la substance. Ces déclassements concernent l'intégralité de soixante et un articles, et les alinéas ou membres de phrases de 439 autres ! Cela concerne aussi bien la désignation des autorités compétentes que la désignation des juridictions compétentes, les règles de procédure que les mentions chiffrées telles que les montants, niveaux ou pourcentage des indemnités de licenciement, pour ne prendre que ces exemples. Sous prétexte qu'il s'agirait là de matières réglementaires, chose facile à soutenir quand notre texte fondamental définit strictement, mais de manière abusive, le domaine de la loi, on passe sous silence le fait que si le législateur avait pris soin de faire figurer certaines dispositions dans la partie législative du code, ce n'était pas le fruit du hasard, en particulier s'agissant de dispositions visant à protéger autant que possible le salarié face à son employeur.

Loin de simplifier le code du travail et d'oeuvrer dans le sens d'une plus grande cohérence, l'ordonnance segmente un peu plus le code, multipliant les externalisations de certaines dispositions vers d'autres codes. C'est le cas s'agissant de certains contentieux, où le juge prud'homal est dessaisi au profit du tribunal de grande instance. C'est le cas encore pour certaines catégories de salariés, externalisées vers d'autres codes : les salariés agricoles, les assistants maternels et familiaux, éducateurs et aides familiaux, les salariés des entreprises de transport, les salariés d'EDF, de GDF et de leurs concurrents, les salariés de la fonction publique, les marins, les dockers, les enseignants non permanents des établissements d'enseignement supérieur privé.

Comme l'inspecteur du travail, Gérard Filoche, avec qui nous tenions hier une conférence de presse, le notait avec pertinence : « Quand on se souvient des différences entre les salariés agricoles et les autres, et que l'on voit la dégradation des conditions de travail des chauffeurs routiers, des marins, des dockers, avec l'alignement par le bas au niveau européen, on comprend l'intérêt de les inscrire dans des codes différents. » Une première illustration nous est offerte par le fait que désormais l'affichage des horaires de travail – heures auxquelles commence et finit le travail, ainsi que les heures et la durée du repos et, en cas de modulation, le programme de celle-ci – ne s'applique plus aux salariés agricoles, précisément en raison de l'article 8 de l'ordonnance.

Nous voyons bien que le travail de recodification n'a rien en l'occurrence d'une entreprise de rationalisation. Il a une signification éminemment politique. Il s'agit de toute évidence d'ouvrir la voie à la création d'autant de codes du travail qu'il existe de branches professionnelles, de substituer probablement à terme au droit du travail le droit commun des contrats, avec l'idée sous-jacente qu'il n'y a plus lieu de considérer comme légitime l'existence de droits véritablement collectifs, ni de reconnaître le caractère inégalitaire du rapport entre le salarié et l'employeur. On se doit d'interpréter également en ce sens les diverses scissions d'articles auxquelles a donné lieu cette recodification. Certaines d'entre elles visent à séparer désormais les dispositions dérogatoires des articles affirmant la règle générale.

Ainsi, le contrat d'apprentissage, qui figurait au début du code du travail dans la partie consacrée aux « conventions relatives au travail » avec le contrat de travail, les conventions collectives et le salaire, est désormais, symboliquement pour l'instant, classé dans la partie « Formation professionnelle ». Ont donc été supprimées, excusez du peu, toutes les références aux apprentis qui, dans l'ancien code, rappelaient que les dispositions applicables aux salariés et celles relatives aux jeunes travailleurs de moins de dix-huit ans leur étaient applicables ; ont été abrogés ou non repris plusieurs articles rappelant que les apprentis sont des salariés titulaires d'un contrat de travail. Abrogé également l'article qui interdit de faire travailler les apprentis de moins de dix-huit ans, les jours de fête reconnus par la loi.

Le nouveau code législatif va également faciliter les opérations de prêt de main-d'oeuvre : il est ainsi affirmé plus nettement qu'auparavant que les opérations de prêt de main-d'oeuvre à but non lucratif sont autorisées. De plus, les opérations de prêt de main-d'oeuvre à but lucratif, jusqu'ici interdites, à l'exception des entreprises de travail temporaire, sont élargies par l'autorisation explicite des nouvelles entreprises de travail à temps partagé – avec un contrat équivalent à un intérim permanent sur plusieurs entreprises.

Pour les contrats à durée indéterminée, le nouveau texte législatif annonce des décrets d'application non prévus par le texte actuel : il en est ainsi pour la démission des salariés, pour la procédure de licenciement économique de plus de dix salariés dans une même période de trente jours, pour le point de départ du préavis de licenciement et le contenu du certificat de travail. On peut se demander quel sort sera réservé à l'indemnité de licenciement, dont le montant est renvoyé à un futur décret. Les dispositions concernant le licenciement économique sont regroupées dans la partie du code relative aux relations individuelles de travail. Elles sont donc désormais rapprochées du régime du licenciement ordinaire et se trouvent sans lien avec la partie « Politique de l'emploi ». La question du temps de travail est désormais renvoyée à la partie « Salaires ». Où l'on voit là encore que les enjeux de réorganisation et de prétendue rationalisation préparent le terrain à la libéralisation prochaine du marché du travail.

Continuons, si vous le voulez bien, cet inventaire et penchons-nous à présent sur les conditions de travail. Que dit le nouveau code ? Pour les salariés, de plus en plus nombreux – 9 % à 10 % actuellement –, au forfait jours, qui ne sont plus soumis aux dispositions sur la durée légale du travail, sur les heures supplémentaires et sur les durées maximales du travail, a disparu du nouveau code l'obligation pour l'employeur de garder pendant trois ans les documents permettant de comptabiliser le nombre de jours de travail effectués. Et, en cas de litige, les salariés ne peuvent plus saisir les prud'hommes, le nouveau texte les ayant remplacés par le juge judiciaire !

S'agissant des heures d'astreinte, le nouveau code fait disparaître l'obligation pour l'employeur de remettre au salarié en fin de mois un document récapitulant le nombre d'heures d'astreinte ainsi que la compensation correspondante.

Disparues également les modalités de demande par un salarié à temps partiel de passer à temps complet – et inversement – ; disparu l'avis de la Commission nationale de la négociation collective sur les décrets de dérogation aux durées maximales de travail ; abrogée la disposition prévoyant, lorsqu'une convention ou un accord collectif le permet, de faire varier la durée du travail hebdomadaire ou mensuelle à condition de ne pas dépasser en moyenne sur l'année la durée fixée au contrat.

L'application des rédacteurs aura permis aussi, avec la complicité du Gouvernement, de mettre sur les rails le travail le dimanche pour tous : les établissements qui jusqu'ici bénéficiaient de droit d'une dérogation au repos hebdomadaire donné par roulement en vertu d'un décret étaient ceux où étaient mises en oeuvre des « matières susceptibles d'altération très rapide » ou dans lesquels « toute interruption du travail entraînerait la perte ou la dépréciation du produit en cours de fabrication » ; désormais sont concernés les établissements « dont le fonctionnement ou l'ouverture est rendu nécessaire par les contraintes de la production, de l'activité ou les besoins du public ». On ne peut mieux dire. C'est totalement extensible. Le nouveau texte étend en outre à tous les « commerces de détail alimentaire », y compris donc les supermarchés, la possibilité de droit de donner le « repos hebdomadaire le dimanche à partir de midi », alors que le texte actuel détermine par décret ces établissements, ceux dont l'« activité exclusive ou principale » est « la vente de denrées alimentaires au détail ». Pour les autres commerces de détail, le maire peut désormais autoriser la suppression du repos hebdomadaire cinq dimanches dans l'année sans avoir à prendre l'avis des organisations syndicales d'employeurs et de travailleurs.

Sur les règles d'hygiène et de sécurité, le nouveau code du travail évolue dans le sens de la mise en avant progressive de la responsabilité des salariés concomitamment avec la baisse de celle des employeurs. Ainsi le nouveau texte dit que les dispositions en matière de « santé et sécurité au travail » auparavant applicables « aux établissements » le sont désormais « aux employeurs de droit privé ainsi qu'aux travailleurs ». C'est ainsi que l'on trouve maintenant dans les principes généraux de prévention un chapitre intitulé « Obligations des travailleurs », symétrique de celui intitulé « Obligations des employeurs ». Cette modification est d'une extrême gravité au moment même où nul ne conteste l'ampleur des sous déclarations d'AT-MP par les employeurs. La nouvelle rédaction leur ouvre la possibilité de dégager leur responsabilité en matière d'hygiène sécurité. En effet, si, comme l'ancien texte, le nouveau prévoit que le salarié doit prendre soin de sa santé et de sa sécurité ainsi que de celles des autres salariés, et que cette disposition est « sans incidence sur le principe de responsabilité de l'employeur », il ajoute une disposition : « Les instructions de l'employeur précisent les conditions d'utilisation des équipements de travail, des moyens de protection, des substances et préparations dangereuses ». En d'autres termes, une telle disposition exonère l'employeur du principe de responsabilité.

Pour la mise sur le marché et l'utilisation des substances et préparations dangereuses, le nouveau texte ne précise plus que les décrets d'application « peuvent prévoir les modalités d'indemnisation des travailleurs atteints d'affections causées par ces produits ».

La modification du texte sur les limites des substances toxiques peut faire craindre le pire : alors que les inspecteurs et contrôleurs du travail peuvent procéder à une mise en demeure, en cas de risque dû à une substance chimique de concentration supérieure à une « valeur limite fixée par décret », le nouveau texte ne parle que de « valeur limite », sans aucune précision. Déjà, la directive européenne de 2000, partiellement mise en oeuvre en France en 2004, tend à remplacer ces valeurs limites d'exposition à respecter, par des valeurs limites indicatives.

Désormais, même pour le pire, une femme égale un homme. L'avant-propos de l'ordonnance l'explique : les directives européennes qui ne laissent subsister une protection que pour les seules femmes enceintes ont été reprises. En conséquence, ce qui est mauvais pour les hommes doit l'être aussi pour les femmes. Les rares dispositions qui avaient échappé à l'application de ce principe, sont désormais rayées. Ainsi, certains travaux dangereux, autrefois interdits aux femmes, sont autorisés : ceux « présentant des causes de danger ou excédant les forces » – les femmes pourront donc légalement porter, de façon régulière, des charges supérieures à 25 kg –, et ceux effectués dans des locaux « qui sont insalubres ou dangereux et où l'ouvrier est exposé à des manipulations ou à des émanations préjudiciables à sa santé », des travaux actuellement déterminés par décret.

Enfin, de façon symbolique, le nouveau texte efface les formulations d'obligations explicites pour l'employeur, mais il ne les supprime pas pour les salariés. Il remplace systématiquement les termes considérés comme infamants : « délinquant » devient « personne condamnée », par exemple. Dans les faits, pour les infractions sur la santé et la sécurité, tout est mis en place pour faire peser sur les salariés les infractions de l'employeur.

Ensuite, les éventuelles peines complémentaires sont allégées. L'insertion du jugement dans les journaux, par exemple, pourra être réduite à des extraits, et les frais entraînés ne devront pas dépasser le montant de l'amende encourue.

En outre, les peines de récidive – même si vous le contestez – sont largement écartées dans un grand nombre de domaines. Rappelons que le précédent code prévoyait le doublement des sanctions à l'encontre de l'employeur récidiviste. Ces dispositions ont disparu !

Les rédacteurs du nouveau code ont également fait disparaître certaines infractions, comme les sanctions pénales pour les violations des dispositions des accords collectifs étendus dérogatoires à la loi – dans des conditions prévues par la loi – notamment sur les heures supplémentaires et le repos compensateur. Idem pour l'abus de confiance des entreprises de travail temporaire qui retiennent ou utilisent dans un intérêt personnel ou pour l'entreprise, les sommes remises à titre de caution, servant à la garantie financière de paiement des salaires. Plus de sanction, non plus, pour le dirigeant d'une entreprise qui aura « omis » de déclarer les salariés qu'il détache temporairement en France.

Je sais que pour toutes ces questions sur la récidive, vous ne portez pas la même appréciation que nous, monsieur le ministre. Vous pourrez nous dire, et le Journal officiel en témoignera, s'il en est autrement.

Vous avez aussi fait le grand ménage, au détriment des droits acquis, en ce qui concerne le rôle et les modalités de désignation des représentants du personnel. Le nombre des délégués – syndicaux, du personnel, au comité d'entreprise, au comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail –, et les modalités d'élection – notamment la désignation du secrétaire du comité d'entreprise, la répartition du personnel dans les collèges électoraux, ou encore la répartition des sièges –, sont désormais fixés par décret.

Parmi les nouveautés qui sont autant de régressions, notons que les élections des délégués du personnel et des membres du comité d'entreprise auront lieu à la même date. Quant aux procédures judiciaires, elles seront ralenties par la disparition de référés et de décisions en dernier ressort.

Les membres du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail ne seront plus obligatoirement informés de la présence de l'inspecteur du travail ; ils ne pourront plus présenter leurs observations à cette occasion, ni faire appel, à titre consultatif, à toute personne de l'établissement. Enfin, les informations dont sont destinataires le CE et le CHSCT, sont réduites.

Vous vous efforcez, messieurs et mesdames de la majorité, de minimiser l'importance et la gravité du jeu de « chamboule tout » auquel se sont livrés les cinq membres de la commission chargée de recodifier le droit du travail. L'inventaire des modifications apportées suffit pourtant à démontrer que, dans ce travail, il ne s'est nullement agi de toiletter le droit, mais de le réécrire, au mépris des mises en garde doctrinales, au mépris surtout des protestations véhémentes des syndicalistes, inspecteurs du travail, juristes, avocats, magistrats. Tous se sont élevés contre ce nouveau texte, et y ont vu la marque d'un affaiblissement de l'ordre public social.

Vous n'ignorez pas que votre nouveau code concerne 21 millions de salariés et va se traduire, pour eux, par des conditions de travail dégradées, une souffrance accrue, une protection moindre, des droits syndicaux diminués.

Vous vous êtes employés à cette réécriture, confiants dans le silence des médias qui jugent sans doute la question trop complexe pour intéresser ceux qu'ils nomment trop souvent avec une nuance de mépris ou de dédain, « les gens ». Privés d'un débat public, ces mêmes « gens » comptent néanmoins sur leurs représentants, tous leurs représentants, pour débattre avec sérieux des textes soumis à leur examen. Ils n'attendent pas que leurs députés se dégagent de leurs responsabilités, pour contresigner des textes élaborés par d'obscurs comités d'experts, porteurs des exigences du MEDEF, et inspirés par les rapports Cahuc, Blanchard, Camdessus et de Virville.

C'est pour ce motif essentiel que je vous invite, mes chers collègues, à voter notre motion de renvoi en commission. L'heure est venue que nous débattions de nos différends sur le fond. Ce délai nous permettrait de regarder – je suis sûr que vous en êtes avides – le contenu de ces différents décrets promis.

Un texte d'une importance aussi capitale que le code du travail, élaboré en cent trente ans, et qui touche de si près l'histoire du mouvement ouvrier et des mouvements sociaux de notre pays, mérite mieux que le passage en force que tente de nous imposer le Gouvernement. (Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine et du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)

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