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Intervention de Christine Lagarde

Réunion du 20 novembre 2007 à 21h30
Dispositions d'adaptation au droit communautaire dans les domaines économique et financier — Discussion d'un projet de loi adopté par le sénat après déclaration d'urgence

Christine Lagarde, ministre de l'économie, des finances et de l'emploi :

Le présent projet de loi porte sur des domaines aussi divers que les assurances, la finance ou les télécommunications. On y retrouve cependant les grandes lignes du projet européen : plus de garanties pour les individus, plus de mobilité pour les personnes et une meilleure régulation pour les marchés. C'est à travers ce prisme un peu plus politique que je vous présenterai ce texte, sans respecter le chronologie des articles.

Le renforcement des garanties pour les individus doit être une évidence pour des sociétés prospères. Qu'on le regrette ou non, cette liberté prend l'expression de la consommation, de l'épargne et de l'assurance.

L'article 10 du projet de loi, en adaptant le code de la consommation aux exigences du règlement 20062004CE, permettra aux services de l'État d'agir davantage dans l'intérêt des consommateurs en mettant en oeuvre leurs pouvoirs d'injonction et d'action en cessation devant la juridiction civile, alors même qu'aucune sanction pénale n'est prévue par la loi.

La France, première destination touristique au monde, aura ainsi les moyens de coopérer pleinement avec les autres États membres de l'Union Européenne pour faire cesser des pratiques illicites, notamment en matière de publicité mensongère, de forme, de reconduction ou de résiliation des contrats, de garantie des produits et de clauses abusives.

Imaginons qu'un consommateur français achète des meubles sur Internet à un antiquaire anglais, qui a encaissé l'argent mais ne délivre pas la marchandise. Désormais, ce client pourra s'adresser directement à la DGCCRF, la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, qui se mettra en relation avec son homologue en Grande-Bretagne. Bien évidemment, la réciproque est vraie, par exemple pour des touristes de l'Union Européenne qui seraient victimes d'une escroquerie en France. Ils pourront donc recourir à leurs instances nationales, qui se mettront en rapport avec notre DGCCRF.

Plus largement, l'article 10 donne davantage de moyens à la DGCCRF pour remplir ses missions. Dans le secteur immobilier, si sensible pour beaucoup de nos concitoyens, ce sont les professionnels eux-mêmes qui ont demandé un renforcement des procédures de contrôle. Les agents de la DGCCRF pourront demander à tout moment leur carte professionnelle aux agents immobiliers, et vérifier que les propriétaires leur ont octroyé pour chaque bien un mandat en bonne et due forme.

Après la consommation, l'épargne. L'article 6 vise à supprimer toute base légale à la non-rémunération des dépôts. Certes, un arrêté du 8 mars 2005 a déjà tiré les conséquences de la jurisprudence communautaire prohibant le principe de non-rémunération. Mais la Commission européenne a confirmé dans un avis récent que la France devait aller plus loin sur le plan législatif, en inscrivant dans la loi le principe selon lequel la rémunération des comptes courants ne peut plus être interdite. Espérons que ce rappel permettra aux banques de se faire concurrence, les premiers bénéficiaires de cette concurrence étant les clients.

Consommation, épargne, mais aussi assurance. Chacune et chacun de nous consacre une partie de ses revenus à s'assurer. En transposant l'article 5 de la directive 2004113CE, dite « directive homme femme », l'article 9 du projet de loi rappelle ainsi le principe de non-discrimination en fonction du sexe dans le domaine des assurances.

Je ne vous détaillerai pas, mesdames et messieurs les députés, les différences qui existent entre les hommes et les femmes, et que la loi ne peut abolir. Elles justifient en tout cas d'inscrire dans notre droit la possibilité qu'ont les assureurs de proposer des contrats distincts aux représentants des deux sexes. C'est une pratique tarifaire habituelle dans certains pays, comme l'Allemagne ou le Royaume-Uni. Bien entendu, il n'est pas question d'en faire une obligation, mais seulement d'en ouvrir la possibilité. Les assureurs resteront libres de leur choix en ce domaine.

Les différenciations objectives entre les deux sexes doivent bien évidemment reposer sur des critères de nature statistique. Ainsi, la prime d'assurance décès pourra être moins chère pour les femmes, parce que celles-ci vivent généralement plus longtemps que les hommes. De même, la prime d'assurance automobile peut être plus élevée pour les hommes, dont les accidents sont en moyenne plus graves que ceux des femmes.

Vous le constatez, il y a des injustices de nature, dont il est juste que les assureurs puissent tenir compte.

Deuxième principe : plus de mobilité pour les personnes – c'est peut-être pour nos concitoyens la traduction la plus évidente du projet européen. Elle implique de pouvoir se déplacer sans inconvénients, de travailler à l'étranger dans de bonnes conditions, et, bien sûr, de communiquer, notamment par voie téléphonique, à un prix raisonnable d'un pays à l'autre et au sein d'un même pays.

Se déplacer, ce n'est pas seulement franchir des frontières. C'est aussi pouvoir bénéficier des mêmes services sur l'ensemble du territoire européen. Voilà pourquoi l'article 1er du projet de loi achève la transposition de la directive 200514CE relative à l'assurance des véhicules automobiles. Un assureur ne pourra plus résilier un contrat de responsabilité civile automobile ou modifier la prime correspondante au motif que le véhicule séjourne, pendant la durée du contrat, dans un autre État membre.

Travailler à l'étranger, c'est possible depuis longtemps. Les diplômes et l'expérience professionnelle sont reconnus partout en Europe. Mais, à l'heure actuelle, ce ne sont pas moins de quinze directives différentes qui assurent la reconnaissance des qualifications professionnelles. L'article 5 du projet de loi habilite donc le Gouvernement à transposer la directive 200536CE, qui harmonise et simplifie tous les textes précédents.

Grâce à quelques aménagements mineurs, ce sont plus de cent professions, couvrant tous les secteurs d'activité, qui relèveront désormais de la même base juridique et pourront être reconnues dans n'importe quel pays membre. La circulation des personnes qualifiées en Europe en deviendra à la fois plus simple pour nos concitoyens, et plus sûre pour les États.

Pour téléphoner sans se ruiner d'un pays européen à un autre, le règlement 7172007 du 27 juin dernier impose déjà aux opérateurs de téléphonie mobile des plafonds tarifaires. Mais ce règlement ne s'applique pas au sein d'un même pays, alors que plusieurs milliers de kilomètres peuvent séparer les DOM-TOM de la métropole, faisant considérablement augmenter les factures de téléphone portable de nos concitoyens. Par exemple, un Roumain en vacances en Martinique paye aujourd'hui ses appels vers Paris moins cher qu'un commerçant nantais qui y séjourne pour affaires !

Afin de remédier à cette situation pour le moins paradoxale, les articles 3 et 4 du projet de loi étendent le champ des plafonds tarifaires à l'itinérance entre la métropole et l'outre-mer.

Troisième grand principe qui sous-tend certaines des dispositions de ce projet de loi : une meilleure régulation des marchés. C'est l'une des tâches les plus urgentes des gouvernements européens, en particulier dans le contexte des turbulences financières qui continuent d'affecter les marchés.

Notre politique de régulation doit reposer sur trois piliers : l'intégration des marchés, la transparence des transactions et la compétitivité de la place de Paris. L'intégration doit être favorisée parce que la régulation est plus efficace sur un marché non cloisonné ; la transparence, parce que la régulation doit pouvoir s'appuyer sur des informations connues de tous ; la compétitivité, parce qu'une régulation intelligente et conférant un niveau suffisant de sécurité intéressera les investisseurs et les opérateurs internationaux. Le projet de loi qui vous est soumis répond parfaitement à cette triple logique.

L'intégration, tel est l'objet de l'article 7 du projet de loi qui ratifie plusieurs ordonnances de transposition, dont celle sur les marchés d'instruments financiers et celle mettant en place le système dit « Bâle II », qui introduit plusieurs ratios applicables dans le secteur bancaire.

La directive sur les marchés d'instruments financiers, dite MIF, améliore l'intégration des marchés européens en supprimant la possibilité pour les États membres d'édicter un principe de centralisation des ordres sur les marchés réglementés. La concurrence entre les différentes bourses européennes sera donc accrue pour la négociation des actions. Or qui dit concurrence dit, naturellement, réduction des frais de transaction pour les investisseurs, sous réserve que la réglementation en matière de concurrence soit bien appliquée. De mon point de vue, la place de Paris se situe déjà en très bonne position, notamment grâce à la fusion entre NYSE et Euronext. Nous devons poursuivre ces efforts.

Moins de réglementation ne signifie certainement pas moins de régulation : la directive MIF renforce les moyens de coopération entre superviseurs européens en matière d'échange d'informations. Cette coordination a été l'un des ressorts essentiels de la capacité de réaction des places financières françaises dans les jours qui ont suivi les turbulences du marché américain des subprimes.

Au niveau non plus européen, mais international, la directive « Bâle II » modernise les règles prudentielles du système bancaire, en garantissant une meilleure adéquation entre l'exigence de fonds propres et le niveau du risque pris par les banques. À terme, nous l'espérons, toutes les banques du monde devraient être soumises aux mêmes principes fondamentaux, que l'on pourrait appeler des « principes de précaution universels ». Ce n'est pas le cas aujourd'hui : les banques américaines et japonaises notamment ne sont pas soumises à cette réglementation. La France mène le combat avec détermination et nous nous efforçons de convaincre nos homologues dans chacun de ces deux pays.

Pour instaurer plus de transparence, l'article 8 de notre projet de loi complète la transposition de la directive dite « transparence », transposition déjà menée à bien dans la loi du 26 juillet 2005 pour la confiance et la modernisation de l'économie, mais qui nécessite quelques précisions, en particulier sur le champ territorial des pouvoirs de l'Autorité des marchés financiers en matière de contrôle des franchissements de seuil. Ces modifications sont d'autant plus nécessaires que l'ensemble des grands acteurs ignorent les frontières.

Pour ce qui est de la compétitivité, j'ai décidé de mettre en place un Haut comité de place, chargé d'identifier les freins au développement de la place de Paris et de proposer des solutions pour lever les obstacles. Aux yeux des investisseurs, nous sommes en concurrence directe avec Londres. Pour peu que l'on fasse encore un petit effort, Paris pourra disposer des atouts nécessaires pour redevenir une grande place bancaire et boursière, en offrant un environnement attractif, plus agréable de mon point de vue, et sans doute beaucoup mieux coordonné qu'ailleurs.

Je sais pouvoir compter sur vous, mesdames et messieurs les députés, pour nous soutenir dans cet effort. Le Sénat a manifesté sa volonté de faire de notre place financière un modèle de sécurité en adoptant un amendement qui améliore le fonctionnement de la Commission des sanctions. Cette instance, qui joue un rôle central au sein de l'Autorité des marchés financiers, comprend un certain nombre de professionnels, comme la loi de sécurité financière de 2003 l'avait prévu. Associer des praticiens de la finance me semble plus que jamais un choix valable car ils apportent à l'AMF une expérience et des compétences techniques essentielles, qui rendent le droit, son interprétation et son application, à la fois plus ancrés dans les pratiques, mais aussi beaucoup plus efficaces. Le Gouvernement est pleinement favorable à l'amendement du Sénat qui renforce les droits de la défense en donnant la possibilité de récuser un membre de la Commission des sanctions.

Améliorer la compétitivité de la place de Paris, c'est aussi l'objectif de l'article 2 de notre projet de loi. En permettant la transposition de la directive 200568CE relative à la réassurance, il habilite le Gouvernement à moderniser par voie d'ordonnance le cadre juridique applicable aux fonds communs de créances, et notamment à élargir leur objet à la titrisation des risques d'assurance. Ces opérations, déjà pratiquées dans d'autres pays et jusqu'à aujourd'hui malaisées à réaliser en France, permettront aux assureurs de rechercher des garanties au-delà des capacités du marché traditionnel de la réassurance, en l'ouvrant à de nouveaux investisseurs et en tirant parti du dynamisme des marchés financiers. Le coût de la réassurance devrait donc baisser sous l'effet de la concurrence. Désormais, les différents acteurs du secteur pourront opérer en France dans de bonnes conditions, au lieu d'effectuer des montages complexes ou de passer par d'autres places financières, ce qui renchérit le coût d'acquisition de tels produits et expose probablement à un risque plus élevé que si l'opération était réalisée dans les conditions que propose le projet. À l'heure où la titrisation suscite tant de débats, alimente parfois tant de craintes, nous montrons qu'avec un régime juridique adapté, une bonne titrisation est possible dès lors qu'un cadre réglementaire sérieux est prévu.

Par ailleurs, cette même directive crée un « passeport européen ». L'agrément unique par l'autorité du pays d'origine permettra d'exercer l'activité de réassurance dans l'ensemble de l'Espace économique européen. Voilà encore un bon exemple d'intégration des marchés.

J'espère vous avoir convaincus, mesdames et messieurs les députés, que le strict respect des normes européennes ne s'oppose pas, bien au contraire, à l'élaboration d'une véritable politique économique pour notre pays. Il s'agit d'une politique pragmatique dans ses moyens, mais fondée sur des convictions fortes, reposant sur un principe de liberté et veillant, dans un cadre de régulation approprié, à protéger nos concitoyens, en tant que consommateurs, épargnants, ou encore assurés. Parce que nous croyons à l'individu, parce que nous croyons au principe de liberté dans un cadre bien régulé, parce que nous croyons à l'Europe, nous voulons lever les derniers obstacles à la libre circulation des personnes. Parce que nous croyons à l'activité économique dans le cadre d'un marché, nous voulons trouver pour ces marchés, qu'ils soient financiers ou d'assurance, la meilleure régulation possible. C'est ce que ce projet de loi vous propose. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Nouveau Centre.)

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