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Intervention de Didier Migaud

Réunion du 20 novembre 2007 à 21h30
Dispositions d'adaptation au droit communautaire dans les domaines économique et financier — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDidier Migaud :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, parmi les dispositions qui sont proposées à notre examen, deux, relatives aux marchés financiers, retiennent particulièrement mon attention – elles auraient d'ailleurs pu faire l'objet d'un avis de notre commission des finances, si nous n'avions fait confiance à la commission des affaires économiques… Ces dispositions méritent d'autant plus d'être commentées qu'elles nous sont soumises alors que la crise financière qui s'est déclenchée cet été à partir des États-Unis n'a pas fini de produire ses effets. Je veux parler de l'article 2, relatif à la modernisation du régime des fonds communs de créances, qui verraient élargir leur objet à la titrisation des risques d'assurance – il est demandé au Parlement d'autoriser le Gouvernement à légiférer par ordonnance –, et de l'article 7, qui soumet au Parlement, pour ratification, les ordonnances prises pour la transposition de la directive sur les marchés d'instruments financiers et du dispositif dit « Bâle II ».

Le marché de la titrisation des créances s'est « emballé » ces dernières années, les montants en cause ayant triplé entre 2002 et 2006. Cette année-là, l'encours était de plus de 2 100 milliards d'euros aux États-Unis ; en Europe, le Royaume-Uni en était le premier marché, avec plus de 200 milliards d'euros de nouvelles émissions, suivi de l'Espagne – 40 milliards – et de l'Allemagne – 37 milliards –, le marché français ne représentant que 7,7 milliards. Lorsqu'on sait que les créances hypothécaires forment plus de la moitié de la base des émissions de titres pour les véhicules de titrisation et que les crédits correspondants ont été distribués, sans aucune précaution, par les établissements de crédit américains, on comprend pourquoi la crise des subprimes est née aux États-Unis et s'est propagée, par le biais de ces véhicules, dans une grande partie du monde, provoquant une pénurie de crédit interbancaire à laquelle les banques centrales ont dû remédier par des injections massives de liquidités. Je suis néanmoins persuadé – comme vous semblez l'être vous aussi, madame la ministre – que la crise aurait pu surgir à l'occasion d'une autre défaillance du système de crédit : on sait ainsi que le financement de certains LBO s'est fait, dans de nombreux cas, sans garanties ou à garanties limitées. Structurellement, le mécanisme de la titrisation incite en effet les banques à baisser la garde dans l'octroi des crédits, puisqu'il éloigne la charge du risque de celui qui le crée.

Auditionnés par la commission des finances, le gouverneur de la Banque de France, le président de l'Autorité des marchés financiers, les directeurs généraux de la Société générale et de l'agence de notation Fitch ont, dans un premier temps, plutôt minoré les effets de cette crise, arguant du fait que les établissements français ont peu procédé à ce type d'émissions. Puis, sous l'amicale pression des économistes conviés à cette audition (Sourires), ils ont bien voulu convenir que, sans être autant affectés que les États-Unis, voire le Royaume-Uni et l'Espagne, la France et l'ensemble des pays de la zone euro pourraient souffrir durablement de cette crise en termes de crédit, de liquidités et de croissance.

C'est pourquoi, lorsqu'on nous demande d'autoriser le Gouvernement à légiférer par ordonnance sur les fonds de créance et à ratifier les ordonnances relatives aux directives MIF et Bâle II, nous nous devons de recommander que tout soit fait pour assurer une meilleure sécurisation financière.

Nous savons bien que le régime français de supervision des établissements financiers est résolument prudent, et considéré comme protecteur ; mais nous savons aussi que les restrictions actuelles n'empêchent nullement les opérateurs français d'émettre, via leurs filiales à l'étranger, des titres représentatifs de créances qui reviennent, par le biais des véhicules de titrisation, dans les SICAV françaises. Dans ces conditions, il serait inopérant, voire stupide, de s'opposer par principe à la titrisation et à son extension aux risques assuranciels. Il est en revanche nécessaire et possible, à l'échelon national, de prendre des dispositions afin d'encadrer cette activité, et, à l'échelle mondiale, de contribuer à instituer des règles de sécurisation financière.

En France, les banques sont au centre de l'activité de titrisation. En conséquence, le régulateur doit exercer une vigilance particulière quant à cette activité, y compris lorsqu'elle est développée à l'étranger. De même, les superviseurs que sont l'Autorité de contrôle des assurances et des mutuelles et l'Autorité des marchés financiers auront un rôle primordial à jouer lorsqu'il s'agira de donner un agrément à ces fonds : ils devront veiller à ce que ceux-ci remplissent la condition du financement intégral de leur exposition aux risques d'assurance, ainsi qu'à la qualité des informations données aux investisseurs, à l'ensemble des régulateurs et à la Banque centrale. Autant de conditions qui devront être inscrites, développées et précisées dans l'ordonnance à venir, madame la ministre. La commission des affaires économiques devra le vérifier lorsque ce texte sera proposé à la ratification du Parlement – et la commission des finances y veillera elle aussi.

Mais cela ne suffit pas : la mondialisation de l'économie ayant vu l'internationalisation de la circulation des capitaux, les règles qui s'appliquent à celle-ci doivent elles-mêmes être internationales. La commission des finances a pu relever que tous les intervenants qu'elle a auditionnés partageaient les mêmes préoccupations, qu'il s'agisse d'une meilleure appréciation des risques, de la question des liquidités ou de la transparence de l'information, et cela à l'échelle mondiale. L'entrée en vigueur du nouveau corpus de règles dit « Bâle II » permettra d'avancer sur plusieurs plans.

Tout d'abord, l'évaluation des risques par les établissements bancaires et financiers devrait être améliorée par leur recours aux informations des organismes externes d'évaluation des risques inscrits sur la liste retenue par la commission bancaire – bien entendu, la Banque de France en fera partie. Mais rien n'est prévu s'agissant de la clarification du rôle des agences de notation. Doit-on les placer sous la tutelle des instances de contrôle des marchés ? L'AMF ne pourrait-elle pas être amenée à donner des avis publics sur leurs notations ? Si les informations qu'elles produisent sont, comme la monnaie, des biens publics, ne doit-on pas, comme le suggère l'économiste Michel Aglietta, créer des agences de notation publiques indépendantes ?

Ensuite, le mode de calcul des risques sera affiné et correspondra mieux à la réalité, puisque les banques devront évaluer la probabilité de tirage sur les lignes de liquidité « hors bilan », qui correspondent notamment aux créances titrisées.

Enfin, les règles prudentielles seront modifiées, les banques devant calculer leurs provisions en fonction de leur exposition réelle au risque.

Le point d'achoppement reste l'information : celle du client final, de l'investisseur, des banques entre elles et du marché en général. La Banque de France avait souligné les risques liés aux subprimes dès décembre 2006, nous a dit son gouverneur ; les instances internationales, comme le Forum de la stabilité financière, ont fait part, à temps, de leurs craintes à ce sujet ; quant aux agences de notation, le directeur général de Fitch nous a précisé qu'ayant observé dès 2005-2006 que des emprunteurs peu ou pas solvables avaient accès au marché immobilier, elles avaient revu à la hausse leurs prévisions de pertes pour les établissements concernés. Bref, tout le monde le disait, mais personne ne voulait le savoir – et cela n'a rien changé : les banques américaines, de même que des banques européennes, ont continué à prêter de manière inconsidérée, et les fonds d'investissement à proposer à leurs clients des produits dont ils se gardaient bien d'évaluer ou d'annoncer le risque.

Améliorer la connaissance des risques est donc un enjeu majeur. L'inscription en droit positif de la directive MIF devrait permettre de meilleurs échanges d'informations entre les autorités de marchés des pays européens. Mais si les règles proposées par le projet de loi sont nécessaires, elles ne seront vraisemblablement pas suffisantes : la Banque de France, à l'échelon national, la Banque des règlements internationaux et le Fonds monétaire international, à l'échelle internationale, doivent s'impliquer dans la communication et l'analyse de l'information, et contribuer à avertir en temps utile les établissements financiers et bancaires ainsi que les marchés. Par une participation active aux instances internationales – comme la BRI, le FMI, mais aussi l'Organisation internationale des commissions de valeurs et le Forum de la stabilité financière –, la France doit être, madame la ministre, une force de proposition travaillant à ce que l'information soit mieux structurée et plus transparente à l'échelle internationale, afin de préserver l'économie réelle des dérèglements des marchés financiers, lesquels peuvent avoir de si lourdes conséquences. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)

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