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Intervention de Alain Finkielkraut

Réunion du 24 juin 2008 à 17h00
Mission d’information sur les questions mémorielles

Alain Finkielkraut :

Non seulement l'enseignement ne doit rien céder quant à l'exigence de savoir et de vérité mais il doit se défaire de cette tentation thérapeutique visant à faire retrouver à tel ou tel son estime de soi. Je le répète : je milite pour une plus grande discrétion dans l'enseignement de la Shoah, lequel n'a pas été le prix à payer, par la France, pour réussir l'intégration d'un certain nombre de Juifs. Ce n'est pas parce que l'enseignement de l'esclavage sera répandu dès les classes primaires que les problèmes d'intégration disparaîtront. Les élèves ne sont de surcroît en rien des créanciers dont le besoin identitaire devrait être par exemple satisfait. L'intégration passe par l'admiration pour une culture et, donc, pour les oeuvres dans lesquelles l'art et l'histoire peuvent d'ailleurs se conjoindre. Mme Pau-Langevin, à ce propos, a cité avec raison André Schwartz-Bart mais je songe également à son épouse Simone dont nous gagnerions à mieux connaître l'itinéraire. De telles oeuvres peuvent parler à tout le monde ! Procéder à un alignement systématique sur la Shoah revient en revanche à entraver la liberté de recherche. Qu'une loi prenne acte de ce qui a été fait, soit, mais elle n'a pas à dire aux professeurs qu'il faut enseigner « la » traite négrière ! Aura-t-on encore longtemps le droit à la complexité dès lors qu'il importe avant tout de guérir des blessures réelles ou imaginaires ? Même si je ne sais plus aujourd'hui qu'en penser, j'ai été favorable à la loi Gayssot pour deux raisons : la liberté d'opinion ne saurait inclure la négation des vérités factuelles puisque la liberté d'opinion est fondée sur la distinction des faits et des opinions ; prétendre que la Shoah est une invention des Juifs revient à reproduire les conditions de leur extermination. Je pense tout de même qu'il aurait été préférable, si cela avait été possible en droit, d'en rester en la matière à l'incrimination traditionnelle de l'incitation à la haine raciale car la loi Gayssot peut devenir un modèle. Et quand on parle d'incriminer la « banalisation du génocide », je ne suis pas d'accord. Loi Gayssot ou pas, la phrase horrible de Jean-Marie Le Pen sur les chambres à gaz comme détail de l'histoire ne doit pas relever des tribunaux car elle relève d'une appréciation, si abominable soit-elle, et non d'une négation fondée sur une recherche. Dans le cas contraire, on ouvre la boîte de Pandore et les procès seront sans fin. La judiciarisation de la société a des effets pervers : n'a-t-on pas prétendu que j'avais effectivement tenu les propos que l'on m'avait prêtés parce que je m'étais refusé à traduire Haaretz en justice ? Je ne parlerai pas, quant à moi, de dérive totalitaire mais il est tout autant nécessaire de préserver la liberté d'expression que la complexité de la recherche et l'exigence dans la transmission. L'enseignement n'a pas pour fonction de flatter des égos ou de guérir les plaies. Il a pour fonction d'éclairer les élèves.

Enfin, si j'ignorais à peu près tout du Quattrocento au collège, le commerce triangulaire y était en revanche enseigné. Je ne pense donc pas que ce phénomène ait été particulièrement occulté même s'il faut aujourd'hui tenir compte de l'évolution de la recherche historique et de la nouvelle composition démographique de la France. Quoi qu'il en soit, les tribunaux ne doivent pas peser comme une épée de Damoclès sur l'enseignement de la complexité.

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