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Intervention de Gaëtan Gorce

Réunion du 21 juillet 2009 à 16h15
Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGaëtan Gorce :

Ce texte suscite quelques inquiétudes.

Quelles sont les motivations qui poussent le Gouvernement à modifier une législation ancienne et bien établie, régissant un système qui fonctionne plutôt bien ? Le ministre a tout d'abord expliqué cette démarche par l'évolution de la position de la Commission européenne et de la Cour de justice des Communautés européennes, mais celles-ci n'ayant jamais remis en question le monopole, on aurait pu choisir plutôt de consolider ce dernier, d'autant plus que rien ne prouve que l'environnement juridique incertain invoqué par le Gouvernement sera moins incertain lorsque le texte aura été voté.

Il est étonnant que le ministre n'ait pas souligné que la question des jeux est éminemment politique – c'est, sans jeu de mots, une question de « valeurs », au sens moral du terme. La réglementation des jeux a toujours été fixée en fonction de l'idée que l'on se faisait d'une réussite ou d'un profit normaux et de la place du jeu et de l'argent dans la société.

À cet égard, nous avons toujours rappelé les prérogatives de l'État pour des motifs d'ordre public. Alors que plusieurs États européens s'interrogent à la suite de l'évolution de la jurisprudence de la Cour de justice, pourquoi la France ne réaffirme-t-elle pas ces valeurs et, au lieu de déposer bien vite un texte devant le Parlement, pourquoi ne se tourne-t-elle pas vers l'Union européenne et ses partenaires pour demander une clarification politique, comme le suggérait d'ailleurs le rapport rédigé voici un an par M. Myard et M. Blessig ? Il faut savoir quelle conception a l'Union européenne de ces sujets, quel rôle l'Union et les États doivent respectivement jouer et sur quels principes se fonde l'intervention des États.

Je regrette que le gouvernement français renonce à mener cette bataille essentielle sur les valeurs.

J'en reviens à ma question : quelles sont les motivations qui conduisent à cette modification de notre législation ?

Votre deuxième argument, monsieur le ministre – celui de l'efficacité – m'évoque cette réflexion célèbre : « Puisque ces mystères nous dépassent, feignons d'en être les organisateurs. » Il semble que, toujours sans jeu de mots, vous fassiez là un pari aventureux. Vous invoquez la concurrence de services illégaux pour justifier des mesures visant à canaliser ces pratiques illégales. On pourrait attendre de votre part plus de volontarisme politique !

Selon vous, la loi permettra d'encadrer des pratiques qui nous « débordent ». Il y a quelque ironie à vous entendre dire que vous incitez la Française des jeux à faire moins de publicité pour ne pas exciter les pratiques publicitaires illégales des opérateurs qui interviennent déjà en France !

Vous annoncez votre intention d'ouvrir la possibilité de jeu en ligne, en réglementant, fixant des limites, définissant une fiscalité et mettant en place une autorité indépendante. Quelle certitude avez-vous que les règles que vous entendez fixer pour réglementer les paris hippiques, les paris sportifs et poker seront respectées par les opérateurs ? Si elles sont assez sévères pour garantir le respect des principes auxquels nous sommes attachés, nous avons les moyens de faire respecter aussi les règles du monopole, et pourquoi, alors, cette ouverture ? Si, au contraire, les règles ne sont pas assez strictes, elles donneront vite lieu à des débordements et ne nous permettront pas de faire respecter ces principes. Il est frappant d'entendre des candidats opérateurs – qui, en pratique, opèrent déjà – déclarer dans les médias que, si les règles sont trop strictes, ils s'en affranchiront et qu'on ne pourra pas les en empêcher, par manque de moyens techniques et compte tenu de la libéralisation de la législation dans certains pays, avec lesquels l'absence de coopération judiciaire empêchera de sanctionner ceux qui opéreront depuis ces pays. Renoncer à consolider le système du monopole risque donc d'encourager sur Internet jeux légaux et illégaux, sur lesquels nous n'aurons pas réellement de prise.

Du point de vue éthique, est-il normal que des opérateurs puissent être également actionnaires de sociétés qui peuvent être parties prenantes, comme des clubs sportifs ? Quant aux opérateurs qui opèrent déjà illégalement et sous la pression desquels vous semblez agir, je souhaiterais que vous nous confirmiez votre intention de procéder à la désinscription de leurs clients.

Les moyens consacrés à l'addiction sont très limités et il faut évidemment aller plus loin. Êtes-vous prêt à prévoir des obligations plus fortes à la charge des opérateurs, notamment pour financer, outre la prévention, les recherches et les soins ? Si c'est le cas, ces obligations risquent de dissuader bien des opérateurs d'entrer dans le dispositif que vous mettez en place.

L'équilibre économique de l'ensemble pose également question. Le taux des prélèvements étant voué à baisser, l'État espère-t-il retrouver au moins l'équivalent de ces rentrées fiscales par l'augmentation des volumes d'activité ? Le montant de plus de 1 milliard d'euros que la filière sportive et la filière équine récupéreront au titre des prélèvements qui leur seront affectés sera-t-il suffisant ? Je crains que, là encore, on ne joue avec le feu – ce que semble confirmer le rapporteur en proposant de porter ces prélèvements de 1 % à 1,8 %, pour retrouver le niveau actuel.

Je partage, monsieur le rapporteur, vos inquiétudes quant aux risques accrus de tricherie et de fraude, ainsi qu'aux risques pour les filières équine et sportive, mais je ne crois pas qu'il faille modifier la législation française. Il faut au contraire réaffirmer nos principes et nos valeurs, notamment pour faire passer un message clair aux autres États concernés et replacer la Commission européenne dans son rôle, qui est de respecter la volonté des États et de l'Union.

Je rappelle que deux directives, consacrées au commerce électronique et à l'ouverture du marché intérieur des services, ont exclu les jeux en ligne du principe de la libéralisation des prestations. Pourquoi céderions-nous aujourd'hui sous la pression de la Commission ?

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