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Intervention de Hervé Gaymard

Réunion du 11 juin 2008 à 16h00
Délégation pour l’union européenne

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaHervé Gaymard, rapporteur :

s'est d'abord félicité de l'excellence de la formule du groupe de travail, particulièrement opportune pour un sujet où les enjeux nationaux, européens et internationaux sont aussi imbriqués. Chaque semaine, l'actualité rappelle l'importance croissante de la question agricole. Le cadre initial du simple bilan de santé est dépassé. Ce point de vue n'est pas contredit quelques semaines après le congrès de la FAO à Rome, dont les résultats ont été assez mitigés.

Au-delà de la présidence française de l'Union européenne, le sujet restera d'actualité, notamment parce qu'il est étroitement lié aux négociations commerciales internationales du cycle de Doha, dans le cadre de l'OMC, et au suivi des accords de partenariat économique (APE) entre l'Union européenne et les pays ACP (pays d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique).

La bonne perception de l'enjeu agricole et alimentaire implique au préalable de mener une réflexion d'ordre général et théorique sur l'échange international. Une « revisitation » de la théorie de l'échange comparatif, établie par Ricardo au début du XIXème siècle est indispensable. Celle-ci a été établie dans le contexte très particulier de l'Angleterre de l'époque, qui a pu abolir ses corn laws car ses dominions à climat tempéré du Canada, d'Australie et de Nouvelle-Zélande lui permettaient de s'approvisionner à bas prix et de ne pas pâtir de ce sacrifice de sa propre agriculture. La théorie du libre échange doit ainsi être considérée non comme une religion, mais comme un moyen dont il faut relativiser les conclusions lorsqu'il ne fonctionne pas pour le bien des peuples, sachant également que l'exemple du Portugal salazariste rappelle à l'opposé, si besoin était, que l'autarcie est une voie sans issue. Si l'on pousse à l'extrême la « vulgate » actuelle sur la théorie de l'avantage comparatif, on aboutit, d'une manière certes un peu caricaturale mais très significative, à une situation où le monde ne comprend qu'un seul pays agricole, le Brésil, un seul Etat industriel, la Chine et un seul prestataire de services, l'Inde, et où les autres pays seraient dotés soit d'emplois de services sous-payés, soit, comme cela a déjà été remarqué, d'une élite mondialisée passant indifféremment d'un emploi à l'autre et d'un Etat à l'autre.

Cette réflexion théorique a d'ailleurs fait l'objet en 2004 d'un article de l'économiste Paul Samuelson, qui a revisité la théorie du commerce international au regard des relations économiques entre les Etats-Unis et la Chine. C'est ce même économiste qui avait, avec Heckscher et Ohlin, établi il y a plusieurs décennies le « modèle standard » de la théorie du commerce international.

Il convient également de rappeler les éléments qui ont été à l'origine de la PAC et de son évolution au cours des dernières décennies.

La création de la PAC pendant les années 1960 a d'abord répondu à un objectif politique. La construction européenne n'était pas seulement une union douanière. Il fallait des politiques communes. Le précédent de la politique commune du charbon et de l'acier, dans le cadre de la CECA, a pu être invoqué. Il est vrai qu'il a fallu alors convaincre certains de nos partenaires du bien fondé d'une politique agricole. Ensuite, la PAC a eu un objectif économique. L'Europe importait alors la moitié de sa nourriture. La nouvelle politique commune avait pour but d'atteindre l'autosuffisance alimentaire.

La PAC mise en place à l'époque n'a d'ailleurs pas été universelle. Les seuls secteurs qui ont fait l'objet d'une organisation commune de marché (OCM) substantielle ont été les grandes cultures, la viande rouge, le sucre et le lait. Les autres productions ont fait l'objet d'une OCM légère sans soutien public, notamment les fruits et légumes ainsi que la viticulture.

La politique de base était celle des prix garantis, avec un soutien financier pour le stockage des excédents.

Trois effets pervers ont conduit à en revoir le dispositif initial : la surproduction, avec les images très parlantes de montagnes de beurre et de congélateurs pleins ; son coût budgétaire pour la Communauté, malgré la mise en place de mécanismes d'autorégulation budgétaires très sévères au cours des années 1980 ; ses effets négatifs, enfin, sur l'agriculture des pays en développement, en raison du dégagement des excédents par des subventions aux exportations qui ont contribué, avec celles d'autres pays ayant les mêmes pratiques, à la ruine des productions vivrières des pays en développement.

En 1984, la question laitière a été réglée par la mise en place des quotas, le contrôle des quantités succédant au soutien des prix.

Pour les autres productions, viande rouge et céréales, l'évolution a répondu à un motif budgétaire ainsi qu'à l'inclusion de l'agriculture dans le champ des négociations internationales dans le cadre du GATT, pour le cycle de l'Uruguay. Le secteur avait en effet été exclu des cycles de négociations précédentes. Les Etats-Unis en étaient ainsi convenus avec les pays européens, en contrepartie d'une entrée sans droits de douane des oléo protéagineux américains dans le Marché commun.

Puis, en 1992, les accords de Blair House ont imposé à la Communauté européenne de remplacer le système des prix par celui des primes, avec des aides directes aux agriculteurs, ce qui représentait un élément totalement nouveau.

Cette première réforme de 1992 a été complétée en 19992000 avec la création du 2ème pilier. Une partie du soutien direct est passée dans le développement rural pour financer des actions telles que l'indemnité compensatrice du handicap naturel (ICHN) en France. A la différence du 1er pilier, dont le financement est uniquement communautaire, le 2èmepilier est cofinancé, pour moitié en général, par les Etats membres.

L'étape la plus récente est intervenue en 20022003. En 2002, trois négociations étaient menées en parallèle : celle sur l'élargissement aux pays d'Europe centrale et orientale ; celle sur la révision à mi-parcours de la PAC ; la dernière, la négociation du cycle de Doha, également appelée cycle du développement, étant en toile de fond.

Sur la base d'un accord initial franco-allemand approuvé ensuite par l'ensemble des Etats membres, l'accord de Bruxelles de 2002 a prolongé le financement de la PAC jusqu'en 2013, au-delà du cadre des perspectives financières d'alors dont le terme intervenait fin 2006. En contrepartie, il a fallu anticiper la réforme de la PAC, décidée en juin 2003 dans le cadre de l'accord de Luxembourg. Pour l'essentiel, c'est le découplage des aides directes, qui ne seraient dorénavant plus liées à la production, qui est intervenu. Conçue à l'origine par les économistes de l'OCDE, cette notion a été reprise par l'OMC, qui a classé les types de soutien en trois boîtes : la boîte orange, en quelque sorte « l'enfer », constituée des mesures interdites comme le soutien par les prix ; la boîte bleue, le « purgatoire », avec les mesures à éliminer telles que les subventions liées à la production ; la boîte verte, le « paradis », avec les soutiens découplés de la production. Pour obéir à cette nouvelle « théologie », il a été décidé de faire passer l'essentiel de nos aides dans la boîte verte.

La faculté de maintenir le couplage a cependant été prévue à Luxembourg. La France, sur la base notamment des études de l'INRA, a procédé ainsi, pour les vaches allaitantes et, de manière partielle, pour les céréales, pour éviter une concentration de la production sur les zones les plus favorisées et la disparition massive d'exploitations dans certains territoires. La Finlande et l'Autriche ont également fait usage de cette faculté.

Pour la détermination des aides directes, les Etats membres ont eu le choix entre deux options : l'une fondée sur les droits historiques, ce qu'a fait la France avec les droits à paiement unique (DPU) ; l'autre sur une base régionale, territoriale, ce qu'a fait l'Allemagne. Cette situation conduit d'ailleurs à des distorsions de concurrence entre les deux modes de gestion des droits découplés, lorsque la terre change de destination. Des productions deviennent ainsi subventionnées, alors qu'elles ne le sont normalement pas en Europe, par exemple les fruits et légumes.

Le bilan de santé de la PAC relève d'une démarche traditionnelle de l'Union, qui consiste à évaluer les effets d'une réforme avant de passer à la suivante. La Commission en a cependant une conception modeste. Elle n'a fait aucune proposition ou suggestion innovante. Quelques éléments essentiels se dégagent cependant.

D'une part, la Commission a, malheureusement, abandonné l'hypothèse du plafonnement des aides. La France y est favorable, au contraire de certains Etats membres pourtant très hostiles à la PAC, le Royaume-Uni notamment.

D'autre part, l'augmentation de la modulation, à savoir le glissement des aides du 1er pilier vers le 2ème pilier, est avancée pour aller notamment vers une agriculture durable. Comme le 2ème pilier est cofinancé pour moitié environ par les Etats membres, la France considère qu'une telle évolution ne peut être que limitée. Une autre hypothèse serait la création d'une sorte de 2ème pilier à l'intérieur du 1er pilier, en recourant au dispositif de l'article 69 du règlement établissant les règles communes pour les régimes de soutien direct dans le cadre de la PAC, « trésor diplomatique » issu de la négociation de 2003 pour permettre de « recoupler » les aides en faveur de la production de boeuf écossais sans pour autant que le Royaume Uni renonce en apparence au découplage total de ses aides.

M. Hervé Gaymard a conclu sa présentation en évoquant le sujet des quotas laitiers. Les quotas laitiers n'étaient juridiquement pas inclus dans la réforme de Luxembourg de 2003, mais la France avait alors obtenu un protocole sur ce sujet, garantissant le maintien du système actuel jusqu'en 2015. Le mécanisme est conçu très différemment selon les pays : en France, la gestion des quotas laitiers vise à maintenir une production laitière sur l'ensemble du territoire, tandis que dans les pays qui sont les plus gros producteurs de lait (Allemagne, Pays-Bas...) les quotas sont des droits à produire qui font l'objet de transactions entre entreprises.

Aujourd'hui, la Commission et la plupart des Etats membres veulent la suppression de ces quotas laitiers. Mais la situation évolue : il y a quelques mois, tous les Etats membres sauf la France, l'Autriche et la Finlande étaient favorables à cette suppression ; mais aujourd'hui il semble que la Pologne ait rejoint le camp français. Certains pays sont opposés au système actuel pour des raisons idéologiques, de principe ; c'est le cas du Royaume-Uni. D'autres pays sont contre le système actuel parce qu'ils ne sont pas parvenus, lors de son élaboration, à obtenir des quotas suffisants pour que leur production nationale réponde à leurs besoins ; c'est notamment le cas de l'Italie.

La proposition de résolution présentée par le groupe de travail, qui traite de l'ensemble de ces sujets, exprime une position favorable à un système de quotas ou à un système de gestion de l'offre, ou, à défaut, si le système de quotas doit être supprimé, demande à ce que des compensations soient assurées pour les régions rurales fragiles ou d'exploitation difficile qui seraient affectées par cette suppression. Il faut en effet des outils pour maintenir une production laitière dans ces zones. Si les quotas laitiers sont supprimés, cela signifiera pour la France une concentration de la production laitière à 80 % dans les régions du « Grand Ouest ».

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