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Intervention de Guillaume Pepy

Réunion du 7 octobre 2009 à 10h30
Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire

Guillaume Pepy, président de la SNCF :

Je suis très heureux et honoré de pouvoir m'exprimer devant cette nouvelle commission. Cette audition est très importante pour la SNCF car, non seulement elle appartient au pays, mais encore elle n'existe qu'au travers du dialogue qu'elle entretient avec l'ensemble des élus de la République, puisque bien plus de la moitié de son activité s'effectue par délégation des autorités organisatrices et qu'il n'y a de toute façon aucun sujet ferroviaire qui ne soit pas vôtre.

Dans mon propos liminaire, je me contenterai de mettre en exergue quelques points présentant un intérêt particulier, afin de laisser plus de temps aux échanges entre nous.

Je dirai, tout d'abord, quelques mots de la situation actuelle de l'entreprise.

Occupée à une transformation formidable, la SNCF va bien, en vertu d'un diagnostic que je formulerai de la façon suivante : « le pays a besoin à l'avenir, non de moins, mais de plus de SNCF », c'est-à-dire de plus de transports collectifs, de mobilité durable et de solutions intelligentes de transport pour les voyageurs et pour les marchandises. Dans la nouvelle croissance qui sera issue de la crise, nous devrons jouer un rôle encore plus important qu'avant. Les élus que je rencontre poussent l'entreprise à réaliser les études et les projets plus rapidement. La SNCF ne souffre donc pas d'une insuffisance de travail. Elle doit, au contraire, faire face à un trop plein de projets.

En même temps, l'entreprise est, en ces années 2009-2010, frappée de plein fouet par la crise, comme Renault, avec ses 2,7 milliards d'euros de pertes au premier semestre, ou comme Air France, qui en enregistre entre 300 et 500 millions par trimestre.

L'évolution du transport suit, en gros, celle de la croissance, mais au carré. Quand la croissance est au rendez-vous, sa situation est très bonne. Quand il n'y a pas de croissance, ses résultats sont négatifs – au carré ! D'où des chiffres qui nous effraient : le transport ferroviaire de marchandises en Europe a baissé, au premier semestre, de 36 % par rapport à l'année dernière. En Russie, c'est de 45 %.

Dans des pans entiers de notre activité, au premier rang desquels le fret, on assiste à un effondrement des volumes, que connaissent également toutes les entreprises de transport de marchandises.

L'effet de la crise sur le transport de voyageurs est également très important. Mais on est passé là de la croissance à la stabilisation. C'est ce que vous constatez pour les réseaux urbains et, si, grâce à la dynamique des achats de matériels, les TER sont restés légèrement positifs, c'est aussi le cas pour les grandes lignes.

Au premier semestre, le groupe a enregistré une perte de 500 millions d'euros, dont les deux tiers sont imputables au transport ferroviaire de marchandises. C'est pourquoi sa transformation présente un tel caractère d'urgence. Le dernier tiers tient à l'effet de ciseaux résultant de l'augmentation de nos charges, de l'ordre de 2 à 3 % en valeur, tandis que nos recettes sont stables. La SNCF sera en déficit en 2009. Nous préparons 2010 de manière à en sortir. De toute façon, l'entreprise a devant elle un chantier de développement considérable, à la fois dans l'urbain, les relations interurbaines, la grande vitesse et la transformation du fret, dont je vais dire maintenant quelques mots.

Je suis dans l'entreprise depuis vingt ans et j'ai été le bras droit des présidents successifs. Sur la question du fret, nous avons complètement échoué, pour deux raisons essentielles.

La première est que la France investissait presque tout dans le réseau voyageurs et presque rien dans le réseau fret. C'est pourquoi je salue la décision du Gouvernement qui a été prise d'investir 7 milliards d'euros dans le réseau fret de Réseau ferré de France – RFF. C'est un premier pas vers un rééquilibrage entre les infrastructures voyageurs et les infrastructures de fret. À cet égard, le Grenelle de l'environnement et l'action de Jean-Louis Borloo marquent, pour moi, un tournant historique.

La seconde raison pour laquelle nous avons échoué est que nous étions malheureusement positionnés sur les produits en perte de vitesse : le fameux wagon isolé auquel nous sommes attachés d'un point de vue à la fois sentimental, industriel et social. Ce transport de détail, emblématique du savoir-faire des cheminots et de la technique ferroviaire, est peu à peu « sorti du marché », d'une part, parce que, l'industrie française s'étant concentrée dans la moitié est de la France, nos clients nous ont peu à peu quittés et, d'autre part, parce que, du fait de la sophistication de cette technique, les coûts de production ont rendu ce service inaccessible, les clients payant un prix équivalent à la moitié de son coût de revient.

Deux solutions étaient possibles. La première était la subvention publique. C'est la solution qu'a choisie la Suisse. C'est un choix politique. L'autre solution consistait dans la transformation de l'activité du wagon isolé. C'est celle qui a été retenue en France.

Il n'est pas question d'abandonner le wagon isolé mais il faut le transformer, c'est-à-dire, en gros, le « massifier ». Quand il est possible de rassembler les marchandises, on transporte des wagons par lots. Quand ce n'est pas possible, on se rabat sur la solution du combiné rail-route : on achemine les marchandises en train jusqu'à la gare la plus proche de la destination puis, pour les derniers vingt, trente ou quarante kilomètres, on place la caisse sur un camion écologique – répondant à la norme Euro 4. Si cette dernière solution n'est pas possible, on discute avec les industriels pour rechercher des solutions logistiques nouvelles. On peut, par exemple, décider de livrer moins souvent mais par train entier. Il faut alors aménager des zones de stockage avec ces industriels.

Nous trouverons, client par client, des solutions pour transformer cette activité.

L'activité de fret, financée, il faut le rappeler, par l'argent des Français, a consommé trois milliards d'euros au cours des cinq ou six dernières années. Si nous ne faisions rien, deux milliards d'euros supplémentaires seraient consommés dans les prochaines années, soit 5 milliards d'euros en tout.

J'ai proposé à l'État actionnaire et aux pouvoirs publics de transformer cette perte, qui n'apporte rien au développement durable, car elle ne génère aucun transfert de la route au rail, en un investissement volontariste dans du transport ferroviaire permettant de faire passer des camions de la route au rail. J'ai, par exemple, pris l'engagement d'investir, au cours des quatre ou cinq prochaines années, un milliard d'euros dans des produits et services ferroviaires d'avenir : autoroutes ferroviaires, transport combiné, développement de la logistique urbaine pour l'acheminement des pondéreux par rail jusqu'au coeur des villes, création d'entreprises locales et d'entreprises portuaires de fret.

Le développement du transport ferroviaire écologique de marchandises sera l'un des principaux chantiers de mon mandat. Il marquera un tournant dans l'histoire du pays et de la SNCF, jusque-là orientée essentiellement vers le transport de voyageurs.

J'aborderai encore deux sujets : l'aménagement du territoire et le Grand Paris.

Nous ressentons très fortement l'exigence sociale et politique qui pèse sur nous en matière d'aménagement du territoire. Le développement du transport collectif est, à juste titre, sous le projecteur et nous recherchons des solutions permettant à la SNCF d'être présente sur la totalité du territoire.

J'illustrerai mon propos par deux exemples.

Les trains Corail posent des questions restées sans réponse depuis vingt ans. Tout le monde reconnaît leur utilité, au point de les considérer comme un vrai service public. L'ennui est qu'il ne font pas l'objet de contrat de service public. La SNCF applique en ce domaine la péréquation, ce qui est un beau mot pour dire qu'elle se débrouille. Avec l'arrivée de la concurrence cette solution n'est plus possible. Il faut que les élus et l'État définissent les besoins en trains Corail, établissent un contrat de service public et précisent leur mode de financement.

Je suis heureux de vous annoncer que ce dossier est aujourd'hui sur la table, l'ensemble des forces politiques estimant le temps venu de le traiter. J'espère que nous pourrons, bientôt, trouver, dans cette enceinte même, la bonne solution. Celle-ci consisterait pour nous en un contrat de service public financé par une ressource venant soit des voyageurs – ce qu'on appellerait dans notre langage une taxe de solidarité –, soit de ressources financières et fiscales – taxes sur les matériels, taxe carbone...

Mon second exemple est celui de la multimodalité. Si la SNCF croit au train, elle croit surtout à la complémentarité des modes de transport. Le service public entend jouer intelligemment de cette complémentarité pour être partout et non seulement promouvoir le train, mais également devenir votre partenaire dans la mise en place de « modes doux », de vélos, de bus verts, d'autocars de complément ou de rabattement supportables écologiquement. La SNCF va changer de braquet dans sa relation avec les élus pour aider les agglomérations et les régions à construire un système de transport efficace et écologiquement performant.

Le Grand Paris est un dossier vital pour la SNCF. Maintenant qu'elle est à la fois française et européenne, elle a pu constater que l'attractivité des grandes capitales – le Grand Londres, le Grand Berlin, Madrid, Barcelone – repose largement sur les réseaux des systèmes de transport qui les desservent et sur la combinatoire entre ces derniers.

Pour nous, l'addition RATP + SNCF doit faire 3, l'une contre l'autre risquant de donner un résultat négatif. Nous recherchons les moyens, d'une part, de rendre les deux entreprises publiques les plus complémentaires possible et, d'autre part, de traiter le problème clé que constitue la desserte de la grande couronne, qui est aujourd'hui fortement désavantagée par rapport au reste de l'Île-de-France. Les personnes qui y habitent paient aujourd'hui très cher un service qui ne leur assure ni ponctualité, ni fréquence, et vivent des désagréments quotidiens difficilement supportables. Il faut donc améliorer la qualité et les services rendus par les réseaux d'Île-de-France.

Le projet de « grand huit » ou « double boucle », qui est le projet phare du Grand Paris, ne doit pas faire oublier le maillage et la rénovation de tout ce qui existe. Ma priorité, depuis un an et demi, est la rénovation des RER existants. Chaque jour, 500 000 voyageurs empruntent la ligne C, 550 000 la ligne D et 1,1 million la ligne A. Si nous ne trouvons pas rapidement des réponses pour améliorer ces plus de 2 millions de voyages quotidiens, personne ne croira en nos capacités de réaliser le Grand Paris. Je mets l'essentiel des moyens de la SNCF, les meilleurs cadres, les gens qui en veulent le plus sur la rénovation du RER car, après avoir été un fleuron de notre pays, il est devenu un handicap. Il est urgent de traiter cette question.

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