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Intervention de Chantal Brunel

Réunion du 5 novembre 2009 à 9h30
Projet de loi de finances pour 2010 — Travail et emploi

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaChantal Brunel, rapporteure spéciale de la commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire pour les politiques du travail et de l'emploi :

Madame la présidente, monsieur le ministre du travail, des relations sociales, de la famille, de la solidarité et de la ville, monsieur le secrétaire d'État chargé de l'emploi, chers collègues, le projet de loi de finances pour 2010 offre à M. Eckert et à moi-même l'occasion de rapporter pour la première fois les crédits de la mission « Travail et emploi ».

Chacun est conscient qu'au premier semestre 2009 plus de 299 500 emplois salariés marchands ont été détruits en France sous l'effet de la crise économique mondiale. La dégradation du marché du travail devrait encore se poursuivre au cours des prochains mois, à cause du décalage habituel entre les évolutions de l'activité et celles de l'emploi.

Les dernières prévisions d'emploi du Gouvernement demeurent prudentes et pratiquement inchangées par rapport à celles du mois de juin. Elles prévoient 451 000 destructions d'emplois marchands en 2009. Une normalisation progressive devrait intervenir en 2010, où 90 000 emplois seraient détruits dans l'ensemble des secteurs.

Toutefois, en France, la dégradation de l'emploi est moins intense que chez la plupart de nos voisins. Si le nombre de chômeurs en France, mesuré en données comparables au niveau international, est supérieur de 18 % en juillet 2009 à son niveau de mai 2007, on note que, sur la même période, il a doublé aux États-Unis, où l'on enregistre une progression de 114 %, et en Espagne, où il augmente de 144 %. La hausse est de 30 % dans la zone euro.

La mobilisation du chef de l'État et du Gouvernement en faveur de la relance explique de tels chiffres. Le plan de relance, tant de fois critiqué lors de son lancement, apparaît aujourd'hui comme particulièrement bien dosé. Néanmoins, derrière ces statistiques, se cache le drame de ceux qui ne parviennent pas à retrouver un emploi.

En raison de la crise, le budget consacré au travail et à l'emploi est bien sûr très sensible et l'heure n'est pas à la réduction des crédits. Sur cette mission, 11,2 milliards d'euros sont inscrits en autorisations d'engagement et en crédits de paiement, auxquels il faut ajouter des crédits supplémentaires à hauteur de 1,4 milliard d'euros inscrits pour 2010 sur la mission « Plan de relance de l'économie », dont Mme Grosskost est la rapporteure. Ces crédits supplémentaires abonderont, via le fonds d'investissement social créé au début de l'année, les politiques traditionnelles de l'emploi.

Au total, les crédits consacrés aux politiques de l'emploi atteignent 12,6 milliards d'euros, soit 2 milliards de plus que le plafond prévu l'an dernier dans le cadre de la loi de programmation des finances publiques pour 2009-2012. Cette augmentation se justifie par la crise.

Les crédits du programme n° 102 « Accès et retour à l'emploi » atteignent 5,840 milliards d'euros en autorisations d'engagement et 5,885 milliards d'euros en crédits de paiement. Un léger repli, de 145 millions, s'explique par l'extinction de certains contrats aidés : le SEJE, soutien à l'emploi des jeunes en entreprise, les emplois jeunes et les contrats emploi solidarité.

La mise en place du contrat unique d'insertion prévu par la loi du 1er décembre 2008 généralisant le RSA a également des conséquences sur la présentation des crédits sur le programme n° 102. À partir du 1er janvier 2010, ce nouveau contrat aidé se déclinera en deux versions : le contrat d'accompagnement dans l'emploi, le CUI-CAE, dans le secteur non marchand, en remplacement de l'ancien contrat d'accompagnement dans l'emploi et du contrat d'avenir ; et le contrat initiative emploi, le CUI-CIE, dans le secteur marchand, en remplacement de l'ancien contrat initiative emploi et du contrat d'insertion revenu minimum d'activité. Je me réjouis de cette disposition, qui permettra de rationaliser l'ensemble des contrats aidés que ni les entreprises ni les publics concernés ne maîtrisaient complètement.

Deuxième poste budgétaire de la mission avec 1,360 milliard, la subvention à Pôle emploi traduit la participation de l'État au financement du service public de l'emploi. Cette subvention sera majorée, en exécution pour 2010, d'un montant correspondant au transfert d'environ 900 salariés de l'AFPA, l'Association nationale pour la formation professionnelle des adultes, chargée de l'orientation professionnelle des demandeurs d'emploi. Ce montant sera déduit de l'aide que l'État verse à l'AFPA. Les transferts de personnels s'ajouteront aux recrutements de 1 340 collaborateurs en CDI et 1 000 en CDD auxquels il a été procédé cette année. À une époque où l'État s'engage à ne pas remplacer un fonctionnaire sur deux, le recrutement et le transfert de 3 240 collaborateurs à Pôle emploi doivent être provisoires. Une fois la crise passée et le chômage en diminution, de tels effectifs ne doivent plus trouver de justification. Pôle emploi, comme d'autres organismes, doit rechercher des sources d'économies.

À mon sens, une des voies qui permettrait d'y parvenir est la transmission électronique des données des entreprises en particulier vers Pôle emploi. Il est en effet surprenant que les attestations d'emploi – les fiches jaunes des Assedic – soient encore manuscrites et doivent être ressaisies par les services de Pôle emploi. Je regrette, à cet égard, que la CNIL se soit opposée à la déclaration nominative des assurés, qui aurait pu générer des économies importantes, en évitant toute ressaisie informatique. Cette déclaration aurait permis une pré-identification d'emploi par Pôle emploi des nouveaux demandeurs, ce qui aurait accéléré leur prise en charge.

Dans un contexte fortement marqué par la crise économique et ses conséquences sur l'emploi, Pôle emploi, neuf mois après sa création, et après d'inévitables difficultés au départ, trouve progressivement son efficacité. Cependant, comme j'ai pu le constater dans mon département, il reste encore à généraliser les sites mixtes ANPE et Assedic. Il faut aussi améliorer le suivi des demandeurs d'emploi, en réduisant notamment le nombre de chômeurs pris en charge par un même conseiller qui, d'un site à l'autre, va du simple au triple. Aujourd'hui, la fusion n'est effective qu'à Provins.

Pour terminer avec ce programme, il faut avoir le courage de rappeler que nous avons voté, au printemps 2008, une loi relative aux droits et aux devoirs des demandeurs d'emploi, dont une disposition précise que le refus, sans motif légitime, de deux offres raisonnables d'emploi entraîne la radiation et la suppression des allocations chômage pendant une période minimale de deux mois. À ma connaissance, cette disposition n'est pas appliquée, et je le déplore. Comment ferons-nous pour l'appliquer plus tard si nous n'avons pas le courage de le faire maintenant ?

Par ailleurs, messieurs les ministres, pouvez-vous nous indiquer le nombre actuel d'offres d'emplois non pourvues ? Sur le terrain, j'entends encore trop de professionnels de certains secteurs me dire qu'ils ne trouvent pas de candidats pour un poste.

Deux autres programmes participent aussi à l'effort en faveur de l'emploi, mais avec des crédits plus modestes. Le programme n° 111, « Amélioration de la qualité de l'emploi et des relations du travail », se distingue par des autorisations d'engagement de 60 millions d'euros, ce qui représente une hausse. Je relève la mise en place sur quatre ans d'un outil de mesure de l'audience de la représentativité syndicale, dont le coût me paraît élevé. Je m'interroge en effet sur la pertinence de mesurer l'audience syndicale dans les entreprises de moins de onze salariés et de renforcer l'effectivité de la représentation collective du personnel dans ces petites entreprises. Les relations entre le chef d'entreprise et les salariés ne sont pas les mêmes dans une petite entreprise et dans un grand groupe. Il y a dans les premières une plus grande proximité et une dimension humaine, qui font que le dialogue social y est quotidien. Je crains que les dispositions de l'article 2 de la loi du 20 août 2008 n'accroissent la complexité administrative qui pèse sur les petites entreprises. Par ailleurs, le nombre important de types de contrats et leur inextricable complexité rendent l'ensemble du dispositif difficile à appréhender, tant pour les chefs de PME et que pour les salariés. Nous devons, une fois la crise passée, simplifier considérablement la palette des contrats.

En outre, la tragique vague de suicides chez France Télécom, au cours de ces dernières semaines, a rouvert le débat sur la prise en compte du mal-être des salariés et la prise en charge du stress par l'encadrement. Je trouve insuffisants les dispositifs existants et forme le voeu que le nouveau plan « Santé au travail » soit l'occasion de mettre en oeuvre une véritable prise en charge des risques psychosociaux, jusqu'ici largement ignorés. Il me paraît important de procéder autant que faire se peut à une analyse de ces suicides et de prendre des mesures de prévention. Par ailleurs, il me semble que nous ne prêtons pas une attention suffisante au problème des addictions – à l'alcool, aux drogues, aux jeux – et à leur incidence sur la santé au travail. Ces phénomènes me paraissent mal mesurés et insuffisamment traités au stade de la prévention.

Les crédits de paiement, eux, enregistrent une légère baisse, conséquence de la fin des frais consécutifs à l'organisation des élections prud'homales en décembre 2008.

Je salue l'amorce d'une fusion entre l'AFSSET, l'Agence française de sécurité sanitaire de l'environnement et du travail, et l'AFSSA, l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments, qui permettra, j'en suis sûre, de dégager des économies d'échelle.

Pour en terminer avec ce programme, j'en viens à un thème qui me tient à coeur : la promotion de l'égalité entre hommes et femmes dans l'entreprise. Le dispositif législatif en vigueur, déjà très coercitif, n'ayant pas produit les effets escomptés, il me semble qu'un effort supplémentaire de sensibilisation doit être mené à destination des employeurs et des salariés, par exemple sous la forme de campagnes d'information réalisées en association avec les partenaires sociaux et cofinancées par eux. Des spots télévisés pourraient s'inspirer du modèle des campagnes sociales de sensibilisation relatives à la prévention routière ou à la santé alimentaire. Il s'agit d'en faire une cause nationale.

Le programme n° 155 « Conception, gestion et évaluation des politiques de l'emploi et du travail », qui regroupe les fonctions supports de la politique de l'emploi, avec 822 millions d'euros en autorisations d'engagement, et 812 millions d'euros en crédits de paiement, traduit une augmentation consécutive à la poursuite du plan pluriannuel de modernisation et de développement de l'inspection du travail.

Ce plan prévoit, cette année, le recrutement de cent soixante agents supplémentaires et le transfert de crédits de 3,7 milliards d'euros en provenance du programme n° 215 « Conduite et pilotage des politiques de l'agriculture » de la mission « Agriculture ». Cette hausse est compensée, en partie, par une démarche volontariste de maîtrise de l'évolution des moyens et de leur utilisation.

En tant que rapporteur spécial, je veux saluer la poursuite de l'effort consenti en faveur de l'insertion par l'emploi des publics en difficulté, en particulier des personnes éloignées de l'emploi, dans le cadre des ateliers et chantiers d'insertion. Un article rattaché à la mission adapte d'ailleurs le cadre financier de ces structures à la mise en oeuvre du contrat unique d'insertion.

Par ailleurs, nous examinerons deux amendements adoptés il y a deux semaines par la commission des finances, qui visent à supprimer les exonérations de cotisations patronales sur l'avantage en nature que constituent les repas des salariés des hôtels, des cafés et des restaurants. Le Gouvernement, en négociation avec la profession, s'était opposé, dans cet hémicycle, à des amendements identiques lors de la discussion du PLFSS.

Enfin, je veux saluer l'implication des services déconcentrés des ministères de l'emploi et du travail : en première ligne face à la crise économique, ils mettent en oeuvre, jour après jour, les politiques de l'emploi.

J'ai la conviction que la situation de l'emploi bénéficiera de la mobilisation des moyens publics, notamment dans le cadre du plan de relance, et de l'amélioration progressive de la conjoncture. À ce titre, le projet de loi de finances pour 2010, avec les mesures du plan de relance qui ne font pas partie des articles discutés ce matin, constitue un budget de rupture, marqué par une mobilisation inédite en faveur de l'emploi.

Comme le montre mon rapport, les efforts à fournir dans le cadre de la mission « Travail et emploi » doivent se déployer de façon complète et assurer un accompagnement tout au long d'un parcours professionnel qui va de la recherche d'emploi à la vie au sein de l'entreprise.

Au-delà d'apports financiers indispensables dont nous avons vu les cibles prioritaires, il s'agit de permettre une prise de conscience sur des sujets de fond tels que la parité, les addictions ou le mal-être au travail. Il est effectivement temps de faire évoluer l'emploi en profondeur ; ce rapport donne quelques clés pour y parvenir. Je vous invite donc à adopter les crédits et l'article 61 rattaché à la mission « Travail et emploi ».

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