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Intervention de Christian Eckert

Réunion du 5 novembre 2009 à 9h30
Projet de loi de finances pour 2010 — Travail et emploi

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaChristian Eckert, rapporteur spécial de la commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire, pour l'accompagnement des mutations économiques et le développement de l'emploi :

Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, j'ai l'honneur de rapporter pour la première fois les crédits de la mission « Travail et emploi », succédant ainsi à Gaétan Gorce, et, comme lui, je dresse un constat alarmant.

La crise bancaire et financière a durement éprouvé l'économie mondiale. Si la situation des marchés financiers se redresse peu à peu, les conséquences les plus lourdes de cette crise sont toujours à venir. La dégradation du marché de l'emploi se poursuit, avec 580 000 destructions d'emplois marchands en 2009, tandis que les outils de traitement conjoncturel de la crise sont fortement sollicités.

Le Gouvernement se veut optimiste et parie, pour 2010, sur une normalisation progressive de l'activité économique, avec 190 000 destructions d'emplois marchands – encore que le terme « normalisation » ne me semble pas le plus approprié. Dans un contexte aussi incertain, la plus élémentaire prudence voudrait que les moyens de la politique de l'emploi ne soient pas revus à la baisse.

J'en viens aux crédits. Les dotations de la mission « Travail et emploi » inscrites dans le projet de loi de finances pour 2010 trahissent une tout autre logique. Avec une diminution de ses crédits de l'ordre de 5 %, la politique de l'emploi paraît avoir été sacrifiée au dogme du « zéro volume ».

La création, dans la loi de finances rectificative pour 2008, d'une mission « Plan de relance », à la durée de vie forcément limitée, renforce encore le sentiment d'improvisation. Elle complique aussi le suivi de l'exécution 2009 et l'analyse des crédits demandés pour 2010. Il aurait été souhaitable, dans l'esprit de la LOLF, d'abonder des missions déjà existantes.

Je remarque d'ailleurs que ce plan de relance et ses déclinaisons multiples et successives – fonds d'investissement social, plan d'urgence pour l'emploi des jeunes, plan « Agir pour la jeunesse » – entretiennent la confusion : les effets d'annonce peuvent donner le sentiment que ces dispositifs s'ajoutent et que leurs financements s'additionnent, alors qu'ils se recoupent très largement.

Au sein de la mission « Travail et emploi », le programme n° 103 « Anticipation des mutations économiques et développement de l'emploi » n'est pas ménagé, avec des crédits en baisse de 11,7 %, qui s'élèvent à 4,63 milliards d'euros en autorisations d'engagement et en crédits de paiement. Cette baisse est d'abord imputable aux variations de périmètre subies par le programme avec la suppression des aides directes à l'emploi dans le secteur des hôtels, cafés et restaurants, à hauteur de 538 millions d'euros, et le transfert de la subvention de l'Agence nationale des services à la personne, pour 20 millions d'euros, sur le programme n° 134, suite à un changement de tutelle. Hors ces effets de périmètre, les crédits enregistrent encore une baisse de 60 millions d'euros qui s'explique par la diminution des stocks de bénéficiaires des mesures d'âge, telles que les AS-FNE, les allocations spéciales du fonds national de l'emploi ou les préretraites progressives, et par la limitation du financement du chômage partiel.

Le projet de loi de finances pour 2010 poursuit ainsi le mouvement de resserrement des conditions d'accès aux dispositifs de préretraites financés par l'État. Cette politique est censée poursuivre l'objectif de relever les taux d'emploi des salariés de plus de cinquante-cinq ans dans le cadre du plan national d'action concerté pour l'emploi des seniors 2006-2010. Force est de constater que nous n'en voyons pas les effets.

Très sensible depuis 2002, la baisse du nombre d'entrées dans les dispositifs de préretraites publiques du secteur privé – AS-FNE, conventions de cessation d'activité de certains travailleurs salariés, préretraites progressives – s'est poursuivie en 2008, selon une récente étude publiée par la direction de l'animation et de la recherche, des études et des statistiques. En effet, l'an dernier, seuls 8 260 salariés sont entrés dans l'un de ces dispositifs, soit 21 % de moins qu'en 2007. Cette forte diminution des entrées s'accompagne depuis cinq ans d'une augmentation sensible du nombre d'entrées en chômage indemnisé de personnes de plus de cinquante-cinq ans.

Conséquence de la diminution continue des entrées, les effectifs des préretraites ne cessent de diminuer : fin 2008, 62 400 salariés du secteur privé étaient en préretraite contre 222 100 en 1998. Les crédits consacrés aux allocations de préretraite publiques s'élevaient à 450 millions d'euros en 2008 ; le projet de loi de finances pour 2010 les limite à 180 millions d'euros.

Il me semble regrettable que dans une situation aussi difficile que celle que nous connaissons le Gouvernement se soit privé d'un outil conjoncturel efficace pour contenir le chômage.

Sous l'effet de la crise économique, le nombre de journées de chômage partiel indemnisables, c'est-à-dire demandées par les entreprises et autorisées par les directions départementales du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle, a fortement augmenté en 2008 et au premier semestre 2009 par rapport à 2007, atteignant, respectivement, 4,1 millions d'heures et 6,9 millions contre 2 millions.

La loi de finances initiale pour 2009 avait ouvert 39 millions d'euros au titre de l'allocation spécifique de chômage partiel sur le programme n° 103. Par ailleurs, 258 millions d'euros avaient été ouverts sur le programme n° 316 de la mission « Plan de relance » et transférés sur le programme n ° 103. Au 31 août, 170,1 millions d'euros en autorisations d'engagement et 141,2 millions d'euros en crédit de paiement ont déjà été consommés. De façon très surprenante, le projet de loi de finances pour 2010 ne prévoit à ce titre qu'une modeste enveloppe de 60 millions d'euros inscrite sur la mission « Travail et emploi », alors qu'aucune dotation complémentaire ne figure dans le PLF au titre du plan de relance.

Monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'État, je crains que cette somme ne soit largement insuffisante, vos services nous ayant par ailleurs indiqué que nombre de ces prestations sont payées avec un décalage non négligeable. Les crédits viendront forcément à manquer. Rien ne justifie cet excessif optimisme tant l'évolution de la conjoncture en 2010 paraît incertaine. Afin d'éviter de recourir à des mesures de fongibilité en cours d'exécution, je vous proposerai d'inscrire en loi de finances initiale des crédits supplémentaires pour financer le nouveau dispositif dit « d'activité partielle ».

Les politiques de l'emploi n'ont donc pas pris la mesure de la crise et ne sont pas adaptées à l'évolution prévisible du marché du travail. La porosité entre emploi et chômage s'accroît, c'est pourquoi il faut relancer la politique de l'emploi afin de contenir l'accélération du chômage.

Aujourd'hui, la formation professionnelle est concentrée sur ceux qui en ont le moins besoin, en dépit d'un investissement annuel de 22 milliards d'euros. En France, 74,3 % de salariés n'ont participé à aucune action de formation au cours des douze derniers mois.

L'année 2009 a été marquée par l'achèvement du transfert de la compétence générale aux régions, conformément à la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et aux responsabilités locales, et par une réforme d'ensemble du système de formation professionnelle continue afin de le rendre plus juste et plus efficace. Les années 2010 et 2011 seront consacrées à la finalisation juridique de cette réforme, avec la publication des décrets, et à sa mise en oeuvre.

À titre personnel, je regrette que cette réforme n'ait pas permis de concrétiser son ambition affichée de donner davantage à ceux qui en ont le plus besoin dans leur parcours professionnel.

Je suis également préoccupé par l'avenir de l'AFPA, l'Association nationale pour la formation professionnelle des adultes. Parmi les trois scénarios qui étaient envisageables l'an dernier pour l'association, la fusion avec Pôle emploi ne semble plus avoir la faveur du Gouvernement, qui aurait également écarté définitivement l'hypothèse d'un éclatement de la structure en vingt-deux entités régionales. Reste la perspective d'une AFPA restructurée avec l'aide de l'État : une structure nationale indépendante serait maintenue, elle conserverait une personnalité juridique propre, et elle serait en mesure de dégager une marge afin de pouvoir se financer.

Cette profonde transformation, qui est, paraît-il, imposée par l'Autorité de la concurrence, a un coût très élevé pour l'AFPA. Elle se traduit, dès 2010, par le transfert des services d'orientation à Pôle emploi sur le programme n° 102. Elle impliquera, à court terme, le transfert de son patrimoine foncier. Pour l'heure, les locaux occupés par les 11 000 salariés de l'AFPA sont la propriété de l'État. Selon les informations que nous avons recueillies, le Gouvernement aurait l'intention de confier ce patrimoine à l'association elle-même ; celle-ci devrait alors faire face à des frais d'entretien et de rénovation considérables, qui pourraient dépasser les 100 millions d'euros.

J'estime donc indispensable de poursuivre le versement d'une dotation de l'État à l'AFPA au titre des dépenses d'investissement. Or le montant des subventions d'investissement allouées à l'AFPA est, pour l'heure, très insuffisant puisqu'il s'établit, en 2010, à 10 millions d'euros en autorisations d'engagement et en crédits de paiement, dont la totalité est contractualisée avec les régions dans le cadre des contrats de projets États-régions.

Par ailleurs, l'anticipation et l'accompagnement des mutations économiques ne doivent pas être négligés. Les dotations consacrées à la prévision des suppressions d'emplois, à la création de cellules de reclassement et aux congés de reclassement devraient être relevées d'au moins 100 millions d'euros. En complément, les contrats de transition professionnelle pourraient être généralisés à tous les licenciés économiques dans les PME pour répondre aux situations dramatiques qui ne manqueront pas de surgir dans les bassins d'emploi les plus exposés.

Enfin, les dépenses fiscales me semblent considérables.

La baisse de la TVA pour le secteur des cafés, hôtels et restaurants coûtera environ 3 milliards d'euros. Cette dépense fiscale est retracée dans le programme n° 134. Le contrat d'avenir signé par la profession devait permettre d'obtenir une baisse des prix : toutes les études et tous les indicateurs donnent, à ce titre, des résultats décevants. Concernant les embauches, la création de 20 000 emplois directs était prévue, auxquels devaient s'ajouter 20 000 postes d'apprentis. Le Conseil des prélèvements obligatoires, qui dépend de la Cour des comptes, constate aujourd'hui qu'au mieux 6 000 emplois pourraient être créés dans les deux prochaines années.

Quant à l'augmentation des salaires dans la profession, il est peut-être encore un peu tôt pour l'évaluer.

Par ailleurs, la politique des services à la personne, qui coûte à notre budget près de 3 milliards en crédits ou réductions d'impôts – sans compter les compensations, à hauteur de plusieurs centaines de millions, de la réduction de quinze points de cotisations pour les employeurs décidant de travailler au réel plutôt qu'au forfait –, doit être évaluée. La croissance de l'emploi dans ce secteur connaît un fort ralentissement, probablement en raison des difficultés que connaissent nos concitoyens, qui ont moins de moyens pour devenir employeurs.

En ce qui concerne les contrats de transition professionnelle, dont nous soutenons la pertinence et l'efficacité, j'observe que 68 millions d'euros sont inscrits au programme 316 dans le plan de relance. Or il me semblerait plus utile d'affecter ces crédits à une politique pérenne en les incluant dans l'un des programmes 102 ou 103 – lesquels auraient du reste vocation à être eux-mêmes fusionnés, ainsi que cela a été recommandé à plusieurs reprises – et de les généraliser dans les PME des bassins d'emploi particulièrement touchés.

J'ai rappelé combien les crédits en faveur du chômage partiel étaient insuffisants. Les 47,4 millions d'euros prévus pour la CRP le sont également.

Mes chers collègues, les crédits de la mission « Travail et emploi » me paraissent, en l'état, insuffisants pour faire face aux conséquences de la crise. Aussi, je vous invite à ne pas les adopter ou, pour le moins, à modifier substantiellement un certain nombre de lignes budgétaires. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

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