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Intervention de Delphine Batho

Réunion du 9 février 2010 à 15h00
Projet de loi d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure — Motion de rejet préalable

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDelphine Batho :

…mais la marque de fabrique de ce projet de loi, c'est de privilégier le tout-technologique au détriment de l'humain ou, plus exactement, de miser sur une fuite en avant technologique comme palliatif de la réduction des moyens humains, ce qui est à nos yeux une grave erreur.

Ce choix sera à long terme beaucoup plus onéreux pour les finances publiques, et son efficacité reste largement à démontrer, tandis qu'il suscite toujours des inquiétudes pour les libertés.

L'expérience prouve, et c'est particulièrement vrai pour la vidéosurveillance ou les fichiers, que, si des outils modernes peuvent être utiles, notamment pour aider la police technique et scientifique et faciliter le travail de l'enquêteur, ils ne sont en aucun cas la panacée, ni un remède miracle.

Au regard des besoins très concrets des policiers et des gendarmes et de leurs conditions de travail quotidiennes, il est indéniable qu'un grand plan de modernisation serait nécessaire. Le Gouvernement prévoit ainsi d'équiper de TIE, terminaux informatiques embarqués, les véhicules de police et de gendarmerie : intention tout à fait louable, mais l'État devrait peut-être s'assurer que tous les commissariats de police et, a fortiori, les brigades de gendarmerie en milieu rural disposent d'une connexion haut débit, ce qui aujourd'hui n'est pas le cas. Avant d'aller investir dans le dernier cri technologique, le bon sens voudrait que l'on commence par les remises à niveau de base. Les problèmes matériels et les conditions de travail sont aussi l'un des éléments du malaise des policiers et des gendarmes.

À dire vrai, ce texte n'est pas si incohérent, et c'est la troisième raison pour laquelle nous vous proposons d'adopter cette motion de rejet préalable : ce projet de loi engage la politique de sécurité sur la voie du désengagement de l'État.

Désengagement d'abord sur le dos des collectivités territoriales.

Faute de moyens, vous cherchez à annexer ceux des polices municipales, comme palliatif au manque d'effectifs de la police nationale, sans vous soucier d'ailleurs de respecter l'article 72 de la Constitution.

Ce texte introduit ainsi un glissement majeur : c'est l'abandon par l'État des missions de sécurité publique de proximité. Désormais, nous dit le rapporteur, ce sont les polices municipales qui assurent la majorité de la présence sur la voie publique. Alors que Michèle Alliot-Marie avait annoncé une réflexion d'ensemble sur les polices municipales, leur statut, leurs missions, vous en faites des supplétifs chargés de nouvelles prérogatives, non pas de police administrative, mais de police judiciaire, chargés de procéder aux contrôles d'identité ou aux contrôles d'alcoolémie, avec tous les risques que comporte un tel dispositif en fait de dérives possibles, et de sécurité à deux vitesses entre villes riches et villes pauvres.

L'amendement sur la vidéosurveillance que vous avez évoqué, monsieur le ministre, ne répond pas du tout aux objections lourdes que nous avions formulées en commission des lois. Il s'agira toujours d'une injonction faite par l'État aux communes, ce qui n'est pas plus acceptable. Quant à la lutte contre le terrorisme et à la protection des sites sensibles, de tels arguments ne me paraissent pas recevables dans la mesure où ces sites sont déjà, je l'espère, largement protégés.

Voici ce que propose notamment cet amendement n° 300 du Gouvernement :

« En cas de refus ou d'abstention du conseil municipal ou si le représentant de l'État dans le département, ou à Paris le préfet de police, estime que le projet de la commune méconnaît une nécessité impérieuse de sécurité publique, le représentant de l'État dans le département, ou à Paris le préfet de police, installe le dispositif qu'il estime approprié. Il est habilité à passer, pour le compte de la commune et en se substituant au maire et au conseil municipal, les marchés nécessaires à cette installation. »

« Les dépenses engagées au titre du deuxième alinéa constituent une dépense obligatoire pour la commune au sens de l'article L. 1612-15 du code général des collectivités territoriales ».

Nous sommes donc toujours sur la même problématique par rapport aux collectivités territoriales.

Désengagement ensuite au profit du secteur de la sécurité privée.

Certaines compétences régaliennes de l'État peuvent être selon vous déléguées à l'ensemble du secteur de la sécurité privée. Ce sont les personnes morales de droit privé qui auront liberté de filmer la voie publique, et ce, sans aucune garantie sérieuse quant au respect des libertés publiques fondamentales de tout un chacun. Ce sont les entreprises de l'intelligence économique auxquelles vous voulez confier non pas la sécurité de leur entreprise, mais l'ordre public et la sécurité économique de la nation, ce qui est bien différent.

Nous aurions pu nous retrouver autour de la volonté d'encadrer très strictement ce secteur de l'intelligence économique, compte tenu des très graves dérives constatées encore récemment, comme l'espionnage d'Olivier Besancenot ou celui de responsables de l'association Greenpeace ; mais il persiste dans votre texte une grave confusion, qui ouvre la voie à un mélange des genres préoccupant et fait craindre certaines formes de privatisation rampante.

À cette logique de désengagement, s'ajoute celle du renoncement qu'entérine ce projet de loi.

Sous le concept de « sécurité globale », il apparaît que votre ambition n'est plus de rétablir la sécurité quotidienne, ni de rétablir l'État de droit pour tous et partout, mais seulement de gérer, de contenir le désordre.

On ne peut qu'être marqué, à la lecture du rapport annexe, par votre conception quasi militarisée de la sécurité, particulièrement en matière de violences urbaines : forces projetables, opérations coup-de-poing, mobilité des unités, moyens spécialisés et aériens. Les forces de l'ordre sont équipées comme pour des scènes de guerre, et les banlieues sont implicitement considérées comme un territoire extérieur à la République.

Certes, cette inflation des moyens techniques qui sont ceux de la défense nationale montre à quel point la situation s'est dégradée et quel est le niveau de violence qu'il faut aujourd'hui affronter. Mais cette militarisation croissante des forces de sécurité intervenant en banlieue ne conduira pas au retour de la sécurité. Ce n'est pas ainsi que l'État pourra reconquérir les zones de non droit, mais avec une présence pérenne, quotidienne, et un vrai travail de police judiciaire contre l'économie souterraine.

Hélas, même votre réforme du Grand Paris semble pâtir de votre conception d'une police superficielle, qui privilégie les renforts ponctuels et les opérations sporadiques sur l'occupation effective du terrain. Il en est de même pour la police des territoires en zone de gendarmerie.

Subrepticement, sans vraiment l'assumer, vous nous proposez en fait, avec ce projet de LOPPSI, un formidable retour en arrière à la police de maintien de l'ordre des années 60.

Vous entérinez ainsi un état de violence que vous renoncez à combattre, et vous n'avez plus alors comme seule solution, comme après chaque drame, qu'une litanie d'annonces qui tournent à vide. Il en va ainsi de bien des amendements du Gouvernement.

Ce projet de loi n'échappe malheureusement pas à la règle qui a prévalu pour les seize autres lois sur la sécurité votées depuis 2002 ; il comporte son lot de mesures d'affichage relevant de la seule communication – avec peut-être une différence : c'est que vous paraissez désormais à court d'idées nouvelles, allant jusqu'à puiser dans les veilles recettes évoquées dans les années 90, comme cette idée d'un couvre-feu pour les mineurs, qui se révélera sans effet, alors que vous auriez mieux fait de vous emparer de nos propositions de création d'un grand service public de la prévention.

Hélas, ce texte n'échappe pas d'avantage à l'inflation de dispositions organisant la redondance inutile du code pénal. La sagesse voudrait d'ailleurs que notre assemblée écoute en la matière la garde des sceaux, qui souligne que 40 % des incriminations en matière pénale ne sont jamais utilisées par le juge.

Mes chers collègues, ce texte était prêt depuis plus de deux ans. Il a opportunément ressurgi en conseil des ministres à douze jours des élections européennes. Il vient en séance devant nous à quelques semaines des élections régionales. Les Français ne sont plus dupes de ces mesures d'affichage qui finissent par les désespérer, et sont las de l'instrumentalisation de l'insécurité qu'ils subissent.

La promesse d'une nouvelle loi d'orientation et de programmation constituait l'engagement majeur du programme présidentiel de Nicolas Sarkozy en 2007. Arrivé à mi-quinquennat, le Gouvernement nous présente un projet sans moyens, sans orientation, sans programmation, qui passe à côté des véritables urgences et organise le désengagement sans précédent de l'État.

Je sais que des collègues de la majorité pensent comme nous. Par delà nos désaccords et nos familles politiques, nous avons des préoccupations communes, et nous sommes certainement nombreux à penser, dans cet hémicycle, que ce texte n'y répond pas. C'est pourquoi l'Assemblée doit adopter cette motion de rejet préalable. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

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