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Intervention de Germinal Peiro

Réunion du 29 juin 2010 à 15h00
Modernisation de l'agriculture et de la pêche — Motion de rejet préalable

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGerminal Peiro :

Comment refuser alors l'exigence de relocalisation qui s'impose aussi pour des raisons environnementales ? Avec 9 milliards d'habitants, la planète ne supportera pas notre modèle de développement actuel. Si l'on veut réserver les échanges aux humains, il faut d'ores et déjà limiter les mouvements inutiles de marchandises. Or, rien dans le texte n'est suffisant en la matière.

Comment s'étonner d'ailleurs que vous ayez refusé des amendements issus des bancs de l'opposition mais aussi de votre majorité – je pense à ceux de M. Patria – qui visaient à intégrer dans le code des marchés publics l'élément de proximité. C'est vous qui le refusez en prétendant que l'Europe ne l'acceptera pas au motif que cela dérogerait aux règles de la concurrence. Monsieur le ministre, c'est faux, parce que les directives européennes permettent, par le biais de la protection de l'environnement, de prendre de telles mesures. Je vous invite donc à revoir votre position lors de l'examen des amendements. Alors il pourra rester au moins quelque chose de ce texte : la volonté de relocaliser et de travailler au plus près des consommateurs.

Il y a quelques minutes, vous nous avez dit que le contrat constituait une nouveauté, qu'il allait faire de nous les pionniers en Europe, qu'il serait l'alpha et l'oméga de la politique agricole future. Or vous savez parfaitement que le contrat existe déjà depuis plusieurs années, et dans d'autres pays. Le Courrier picard d'aujourd'hui indique que 477 éleveurs de moutons de l'Est de la France ont contractualisé avec une grande surface pour trois ans. Dans le département dont je suis élu, une grande société qui produit des veaux de boucherie a déjà contractualisé depuis huit ou dix ans.

Cet hiver, une laiterie britannique a décidé d'appliquer un prix d'achat du lait fixe pour deux ans. Ce contrat à prix fixe, dont la mise en place était initialement prévue pour cet été, a été finalement avancé au mois de mars, en raison de l'adhésion forte des producteurs à cette proposition. Le mécanisme en est simple : le prix est garanti pour deux ans. Il reste fixe si les variations de marché sont inférieures à 2,30 cents ; si le prix de marché varie de plus de 2,30 cents dans un sens ou dans l'autre, le prix proposé par la laiterie augmentera ou diminuera proportionnellement. Peut-être est-ce ce modèle que les contrats types suivront en France. Pour l'instant, nous n'en savons rien.

Les contrats incluant des modalités d'évolution des prix existent aussi en France, dans certains secteurs, comme le transport routier. Dans ce cas, la loi est intervenue pour fixer un cadre général d'évolution : les modalités d'intégration de la fluctuation des prix du pétrole, par exemple, dans le prix final de la prestation de transport.

Les contrats ne sont pas non plus inconnus des agriculteurs. La loi du 6 juillet 1964 a en effet organisé l'économie contractuelle en agriculture. Les accords interprofessionnels à long terme, les conventions de campagne existent ; elles n'ont abouti finalement qu'à peu de chose au moment de la crise.

Dois-je vous rappeler que l'article L. 631-4 du code rural dispose déjà : « L'accord interprofessionnel a pour but, simultanément : 1° De développer les débouchés intérieurs et extérieurs et d'orienter la production afin de l'adapter quantitativement et qualitativement aux besoins des marchés ; 2° D'améliorer la qualité des produits ; 3° De régulariser les prix ; 4° De fixer les conditions générales de l'équilibre du marché et du déroulement des transactions. »

Tous ces contrats collectifs vont dans le bon sens. Il est possible de conférer un caractère obligatoire aux contrats de campagne, les contrats types existent. Nos prédécesseurs avaient compris combien la démarche commune était essentielle pour sortir l'agriculture de la misère et assurer la souveraineté alimentaire.

Cependant, nous devons le reconnaître, cela n'a pas apporté toute la protection nécessaire. La crise actuelle en est la preuve. Mais l'État a sa part de responsabilité dans cette faillite. Mieux, parfois même, votre gouvernement a fait le choix de mettre à l'index des démarches collectives pourtant anciennes. Dois-je vous rappeler, monsieur le ministre, que le 21 avril 2008, la DGCCRF adressait ainsi une lettre au CNIEL pour imposer la fin de la pratique de la recommandation nationale trimestrielle d'évolution des prix du lait ? Que vous le vouliez ou non, ce fut l'un des facteurs déclenchants de la crise du lait dans notre pays. L'article 81 du Traité de l'Union européenne laissait pourtant clairement penser que le secteur laitier était exempté des règles sur les ententes. Votre gouvernement n'a pas cédé à une injonction communautaire, mais aux sirènes libérales qui sont au coeur de sa doctrine.

À quelques semaines de la loi de modernisation de l'économie, l'administration française orientait le secteur dans le marché total. La date est importante. Le Président de la République et le Gouvernement n'avaient de cesse alors de dire qu'il fallait faire baisser les prix. Le libéralisme dans toute sa dureté a été appliqué au monde agricole. La solution trouvée a reposé sur la fin des démarches collectives. Les cocontractants des éleveurs laitiers ne se sont pas fait prier pour accélérer la baisse des prix. Un agriculteur seul est fragilisé face à l'industrie ou à la grande distribution.

Que vont changer les contrats ajoutés dans l'arsenal juridique par votre loi ? Sans doute rien. C'est du moins l'opinion très largement majoritaire des professionnels de l'agriculture. Un contrat n'a jamais garanti la décence d'une rémunération. Le contrat de travail des salariés devrait vous servir de point d'approche de cette question. Combien y a-t-il aujourd'hui de salariés pauvres ? Le contrat ne garantit que l'emploi – et encore quel emploi ? – mais certainement pas la juste rémunération du travail et des efforts accomplis. Monsieur le ministre, évitez-nous ce discours, contentez-vous de dire que le contrat permettra la transparence.

Nous avons d'ailleurs déjà tout le loisir d'être inquiets sur ce contrat. Aux dernières nouvelles, les acteurs de la filière laitière, la première touchée par la crise, ne parviennent pas, en effet, à se mettre d'accord autour de la contractualisation. Les modalités de cette contractualisation divisent les acteurs. Là encore, l'avenir est bien incertain.

Ce qui est certain, en revanche, ce sont les insuffisances du texte. Le développement de l'assurance, je l'ai dit, pose la question des moyens de s'assurer. L'État peut servir de caisse de réassurance, mais les agriculteurs auront-ils les moyens de s'assurer ?

Autre point inquiétant : l'installation, initialement absente de votre projet de loi. Moderniser ne passe sans doute pas, dans votre esprit, par l'idée de favoriser le renouvellement des générations. Les mesures actuellement contenues dans le texte sont insuffisantes. Même la création d'une taxe sur le changement de destination des terres agricoles est bien timide. Certes, nous ne pouvons que nous féliciter de cette création que nous avons réclamée de tous nos voeux depuis des années, par la voix notamment de notre collègue Jean Gaubert. Mais croyez-vous que 5 % soit un taux suffisant, sachant que cette taxe ne s'appliquera qu'aux terres qui seront vendues plus de dix fois leur prix d'achat ? Croyez-vous que votre mécanisme sera efficace ? Nous avons noté, en commission, que vous admiriez le modèle germanique, où la taxe, efficace avez-vous dit, est de 20 %. Nous vous proposerons ce taux. Mais nous savons déjà que votre majorité n'est favorable au modèle allemand que dans ce qu'il a de plus critiquable, que lorsqu'il applique les normes minimales, environnementales et sociales, pas lorsqu'il applique d'autres pratiques plus dures que les nôtres.

Enfin, comment ne pas souligner l'entêtement de la majorité à refuser ce qui paraît comme un minimum de démocratie sociale, à savoir la reconnaissance de la pluralité syndicale ? Aucune de vos justifications n'est acceptable aujourd'hui, monsieur le ministre. À l'instant, je vous ai entendu dire que vous y étiez favorable. Encore faudrait-il que cela se traduise dans les faits.

Franchement, monsieur le ministre, ce n'est pas de votre niveau. Ce n'est pas sérieux de nous faire croire que vous y êtes favorable alors que vous votez contre tous les amendements que nous avons proposés.

Décidément, monsieur le ministre, en faisant des efforts, nous ne pouvons pas dire que votre texte soit susceptible d'emporter l'approbation générale, pas même sur la pêche, où le travail à accomplir est immense. Là encore, d'autres collègues vous diront combien tout cela est insuffisant.

Enfin, s'agissant de l'outre-mer, nous ne pouvons qu'être une fois de plus déçus. Nous avons cru M. Bussereau en 2005 lorsqu'il nous promettait ici même une grande loi agricole pour l'outre-mer. Force est de constater que les ordonnances annoncées ne font pas une grande loi. Et force est de constater encore une fois la maltraitance dont font l'objet ces territoires qui, pourtant, nous apportent une diversité agricole fondamentale.

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