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Intervention de Thierry Wickers

Réunion du 1er septembre 2010 à 9h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la république

Thierry Wickers, président du Conseil national des barreaux :

M. Pouchelon et M. Le Borgne ont largement abordé le thème de votre deuxième série de questions, c'est-à-dire le fonctionnement de la question prioritaire de constitutionnalité devant les deux juridictions les plus élevées, la Cour de cassation et le Conseil d'État. Sur le plan statistique, la consultation du site du Conseil constitutionnel montre que l'essentiel des dossiers en attente ont été transmis par ces deux juridictions. Même si, comme nous l'avons tous souligné, nous ne disposons que d'un faible recul, la question se pose de savoir si la procédure mise en place pour l'examen à ce niveau des questions prioritaires de constitutionnalité est satisfaisante.

Il convient de distinguer entre le Conseil d'État et la Cour de cassation, dont les pratiques sont différentes. Pour cette dernière, on a pu observer dès le mois de mars un désaccord entre la formation spécialisée et la chambre criminelle. Cette difficulté de fonctionnement a notamment concerné les arrêts du 2 et du 19 mars, si bien que la question du maintien de la formation spécialisée a pu se poser.

Vous nous demandez si le filtre des juridictions suprêmes est opérationnel, et si, au-delà du mécanisme d'information qui existe déjà à ce niveau, il ne faudrait pas prévoir un mécanisme d'appel des décisions, prises par le Conseil d'État ou la Cour de cassation, de ne pas transmettre la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel. Le dispositif fixé par la loi organique pour déterminer les conditions d'application de l'article 61-1 de la Constitution avait, selon moi, deux objectifs. Le premier consistait à éviter les requêtes dilatoires et inutiles et prévenir tout risque d'engorgement du Conseil constitutionnel. Mais dès lors qu'un filtre existe au niveau des juridictions inférieures, il ne me paraît pas indispensable d'en placer un autre au niveau de la Cour de cassation et du Conseil d'État. Le deuxième objectif était d'associer les deux hautes juridictions au nouveau mécanisme de constitutionnalité afin de s'assurer de leur pleine collaboration dans ce domaine – mais je ne suis pas certain qu'il ait été vraiment atteint. Dès lors, aucune des deux raisons ayant conduit à la mise en place d'un filtre à ce niveau ne me semble aujourd'hui pertinente.

L'examen des motivations des décisions du Conseil d'État montre que celui-ci fait preuve de neutralité et évite de donner l'impression d'un pré-jugement sur la constitutionnalité. La juridiction administrative transmet donc les questions prioritaires de façon saine, dans le respect de la compétence du Conseil constitutionnel. Mais, s'agissant de la Cour de cassation, les choses sont incontestablement plus compliquées. Sans tomber dans la suspicion, il me semble que sa jurisprudence traduit une méfiance beaucoup plus importante. La Cour tend en effet à rechercher des éléments d'inconstitutionnalité évidents et manifestes, donc susceptibles de justifier le renvoi au Conseil constitutionnel. Contrairement au Conseil d'État, elle ne se satisfait pas d'une inconstitutionnalité éventuelle. Une telle appréciation est nécessairement restrictive, puisqu'elle revient, pour la Cour, à se livrer à un pré-contrôle de constitutionnalité.

Une telle dérive s'observe nettement dans la jurisprudence. Ainsi, dans sa décision du 19 mai 2010, la Cour s'interroge sur la situation dans laquelle une question prioritaire de constitutionnalité ne porterait pas directement sur une disposition législative mais sur l'appréciation de celle-ci par le juge dans sa jurisprudence habituelle. Une telle question peut en effet se poser, car le juge, dans le cadre de son pouvoir souverain, peut être amené à lire un texte d'une autre façon que celle envisagée par le législateur. Or la Cour de cassation a jugé que si la question posée déduisait l'inconstitutionnalité, non du texte même d'une disposition législative, mais de l'interprétation qu'en donne la jurisprudence, il n'y avait pas lieu de transmettre la question au Conseil constitutionnel. Cela pose selon moi un véritable problème : l'interprétation d'une disposition doit pouvoir également faire l'objet d'une question prioritaire de constitutionnalité, sans quoi des dispositions législatives pleinement conformes à la Constitution pourraient faire l'objet d'une pratique totalement non conforme. Une telle dérive ne doit donc pas perdurer.

La réponse consistant à supprimer la formation spécialisée de la Cour de cassation ne serait pas de nature à régler le problème. De même, il ne paraît pas utile de modifier les critères de filtrage. La solution serait donc plutôt de retenir la suggestion du président Hyest et de prévoir la possibilité d'un appel devant le Conseil constitutionnel des décisions de refus. Le Conseil aurait ainsi une influence directe sur la jurisprudence relative à la transmission des QPC.

Votre question suivante concernait l'arrêt du 22 juin 2010 de la Cour de justice de l'Union européenne et l'articulation entre la question de constitutionnalité et la question de conformité au droit de l'Union européenne – c'est-à-dire la question de conventionalité appliquée au seul droit européen. Le souhait du législateur était de donner une véritable autonomie à la question prioritaire de constitutionnalité et de faire en sorte qu'elle soit tranchée avant la question de conventionalité, de façon à redonner une cohérence à la hiérarchie des normes, notamment s'agissant de la place qu'occupe notre Constitution. La difficulté d'articulation juridique est apparue dès l'arrêt prononcé le 16 avril 2010 par la Cour de cassation, mais elle me semble un peu artificielle : ce n'était pas nécessairement à partir de l'article 88-1 que l'on pouvait imaginer la position de la Cour. Quoi qu'il en soit, l'arrêt du 22 juin 2010 a éclairci les choses en validant le mécanisme de la question prioritaire de constitutionnalité sous certaines conditions – en particulier, la juridiction nationale doit avoir la possibilité de prendre les mesures nécessaires afin d'assurer la protection juridictionnelle provisoire des droits conférés par l'ordre juridique de l'Union. Or, dans son arrêt du 29 juin, la Cour de cassation a déclaré qu'elle n'avait pas, à l'heure actuelle, la possibilité de mettre en oeuvre de telles mesures. Il est donc clair que vous serez amenés à compléter le dispositif pour répondre au reproche fait par la Cour et assurer le respect de la décision prise le 22 juin par la Cour de justice de l'Union européenne.

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