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Intervention de Guillaume Pepy

Réunion du 23 novembre 2010 à 17h00
Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire

Guillaume Pepy, président de la SNCF :

Je vous remercie de me donner l'occasion de m'exprimer à nouveau devant votre commission et je vous prie par avance de bien vouloir excuser le caractère lapidaire de mes réponses, mais vous avez posé au total une trentaine de questions !

Premier sujet, le service minimum et le fret. Pour la SNCF, la loi sur le service minimum est un succès du point de vue des usagers. Elle a réalisé un équilibre satisfaisant entre le droit de grève, qui est parfaitement respecté, et le droit aux transports, qui l'est mieux – notamment dans les grandes régions urbaines – qu'il y a cinq ou dix ans. Le point d'équilibre entre des intérêts historiquement contradictoires me semble donc atteint. Nous n'avons recensé que quelques trains qui n'ont pu circuler certains jours. L'offre du service minimum a donc été réalisée à 99,98% les jours de grève.

Le service minimum dans le fret est une question politique digne d'une réflexion du Parlement et des pouvoirs publics. La fermeture les jours de grève des postes d'aiguillage essentiels aux réseaux capillaires – ceux qui desservent les céréaliers, les ports, les dépôts de carburants ou les grandes zones industrielles – empêche en effet les treize opérateurs de fret ferroviaire, parmi lesquels la SNCF, d'assurer le trafic alors même qu'ils disposent de conducteurs. Le transfert vers la route – que personne ne souhaite – est alors inévitable. Là encore, il faudra trouver un point d'équilibre, c'est pourquoi j'appelle à une réflexion collective.

J'en viens à la loi ORTF. Nous souhaitions un régulateur ; nous sommes donc heureux que l'Autorité de régulation des activités ferroviaires (ARAF) ait été créée. La loi a d'autre part établi deux statuts particuliers, l'un pour la gestion des trafics et des circulations – la direction de la circulation ferroviaire (DCF) – l'autre pour les gares – Gares & Connexions. Bien que rattachées à la SNCF, ces deux entités sont autonomes par rapport à l'entreprise ferroviaire, afin de préserver les conditions de la concurrence. A l'heure actuelle, je n'entends pas de critiques à l'égard de ce dispositif qui répond à un double objectif : que la SNCF soit suffisamment mature pour faire jouer la synergie entre la gestion des circulations ou les gares et le reste de l'entreprise, que nos futurs concurrents n'aient pas à redouter une discrimination à leur encontre par le biais des gares ou de la gestion des circulations. Le système me paraît satisfaisant mais, s'il était jugé discriminatoire, la loi devrait être modifiée. J'y suis très attentif mais je plaide pour que l'on lui donne sa chance à ce modèle, car il permet à la SNCF de préserver une certaine unité dans le respect de la concurrence.

Pourquoi n'y a-t-il pas de nouveaux concurrents aujourd'hui ? Lors de ma prise de fonctions voici deux ans et demi, j'avais dit clairement que la SNCF ne demandait pas que l'on retarde l'arrivée de la concurrence dans notre pays, qui n'en serait que plus brutale lorsqu'elle adviendrait finalement. L'entreprise se prépare à cette perspective. Nous souhaitons qu'elle arrive dans deux conditions. La première est que ce soit équitable pour la SNCF, c'est-à-dire qu'il n'y ait pas d'écrémage – les concurrents se positionnant sur les liaisons rentables et laissant les lignes déficitaires à la SNCF. Ce point est aujourd'hui à l'étude dans le cadre du rapport du sénateur Grignon comme des réflexions des pouvoirs publics. La deuxième condition est que ne subsistent pas deux statuts sociaux disparates – d'un côté le statut historique des cheminots, de l'autre celui du ferroviaire privé – car la SNCF en serait pénalisée. C'est pourquoi j'ai appelé publiquement à la définition d'un socle social commun, donnant des garanties essentielles aux cheminots du privé comme à ceux du public. C'est du reste ce que vous avez fait récemment dans la loi relative à la nouvelle organisation du marché de l'électricité – dite loi NOME – avec le statut social des salariés du gaz et de l'électricité. Il me semble qu'il y a place pour une convention collective qui permettrait d'éviter le dumping social. A ces deux conditions, la concurrence pourra être ouverte sans dommage pour la SNCF et les personnels.

En ce qui concerne le fret, il y a du mauvais et du bon. Le mauvais est que toutes les causes d'absence de fiabilité pèsent sur l'activité de fret ferroviaire, et au premier chef la crise des sillons, autrement dit des horaires : les travaux et les congestions sur le réseau empêchent la plupart du temps de donner des horaires de qualité aux trains de fret. C'est aujourd'hui le premier problème du fret ferroviaire français. D'après RFF, propriétaire et gestionnaire du réseau, cette crise est appelée à durer encore deux ans. La seconde cause d'absence de fiabilité tient aux insuffisances des entreprises, la troisième aux conflits sociaux.

Mais il y a aussi du bon. L'engagement national pour le fret ferroviaire – 7 milliards de l'État, auxquels s'ajoute un milliard de la SNCF – se met en oeuvre. C'est long, mais les bonnes nouvelles sont là : la réouverture et la modernisation de la ligne Serqueux-Gisors, qui permet de disposer à partir du Havre d'un itinéraire d'évacuation autre que Le Havre-Rouen-Paris ; la courageuse décision qui a été prise de réaliser le contournement de la région lyonnaise ; le lancement des premières études sur les contournements de Lille ou de Nîmes. Bref, le chantier est lancé, et il mérite un large soutien : si notre fret était défaillant, c'est parce que nous n'avions pas de réseau capable de supporter un fret ferroviaire de qualité. Pendant des années, nous avons tout misé sur les voyageurs, en négligeant les investissements en faveur du fret.

Une autre bonne nouvelle concerne les trains d'équilibre du territoire : le conseil d'administration de la SNCF examinera demain le contrat de service public, tandis que le Gouvernement soumettra au Sénat un amendement au projet de loi de finances relatif aux dispositions financières correspondantes. Demain soir sera donc résolu un problème lancinant qui mine les élus de tous bords depuis près de vingt ans : les trains Corail, Téoz et Lunéa, empruntés par 100 000 voyageurs par jour et qui desservent 21 régions françaises, feront l'objet d'un contrat de service public conforme aux règles européennes, faisant de l'État l'autorité organisatrice de ces 340 trains quotidiens. C'est un progrès considérable, et il faut rendre hommage à tous ses acteurs. L'avenir des TET est désormais assuré, avec un financement en loi de finances et un contrat de service public.

Nous sommes bien sûr engagés dans le développement des OFP, les entreprises locales de fret, avec une doctrine : le seul cas dans lequel il ne faut pas compter sur la SNCF est celui où un opérateur local voudrait qu'elle lui « transfère » librement ses trafics. Nous avons la volonté de redresser nos propres activités et entendons défendre le fret SNCF tout en faisant de la place aux opérateurs locaux. Le critère d'opportunité de l'installation d'un opérateur local est le suivant : apporte-t-il davantage de fret ferroviaire – autrement dit un réel transfert de la route vers le rail ?

Les péages existent pour la bonne cause, puisque les péages du TGV financent pour partie la rénovation du réseau classique. J'appelle néanmoins régulièrement à leur modération, car leur augmentation très rapide – 200 millions d'euros pour la seule année 2011 – met en question l'équilibre de l'activité grande vitesse en France.

Sur les tarifs, permettez-moi d'apporter une précision : il y a parfois confusion entre l'évolution du tarif public et celle du panier d'achat. Or ce n'est pas la même chose : le tarif, c'est celui qui est proposé à tout le monde ; le panier d'achat, c'est ce que chacun décide d'acheter « à la carte ». Les chiffres sont les suivants : depuis 2002, les tarifs du TGV en France ont augmenté de 0,5% de plus que l'inflation. J'assume cette évolution : le réseau TGV s'étend, nous avons de plus en plus de rames et de gares, et de plus en plus de voyageurs. Le panier du consommateur a augmenté beaucoup plus vite – jusqu'à 5 à 6 % certaines années. D'une part, les voyageurs voyagent de plus en plus à l'international, où le prix moyen est plus élevé – pour une distance comparable, un Paris-Bruxelles est plus cher qu'un Paris-Dijon ou un Paris-Poitiers. D'autre part, nos voyageurs choisissent de plus en plus souvent la première classe et sont de plus en plus souvent des voyageurs professionnels. Entre 1999 et 2009, le trafic de première classe a augmenté de 80 %, celui de deuxième classe de seulement 40 %. Tant mieux : cela libère des places pour de nouveaux voyageurs.

Nous n'avons en tout cas pas à rougir de notre système TGV, qui est le moins cher d'Europe et qui le restera. Selon une étude du ministère des transports, le prix moyen au kilomètre du TGV est inférieur de 35 % à ce qu'il est en Allemagne. L'Espagne vient d'ouvrir la ligne à grande vitesse Madrid-Valence : le billet est de 61 % plus cher que pour un trajet équivalent en France ! Notre système est populaire et il doit le rester. Mais les tarifs du TGV doivent aussi refléter les coûts, notamment ceux des péages.

J'en viens maintenant à Eurostar. Les règles de sécurité dans le tunnel sous la Manche sont de la responsabilité des gouvernements français et britannique. Ceux-ci ont constaté que, quel que soit leur constructeur, les trains de nouvelle génération, dits à motorisation répartie, supposent une évolution des règles de sécurité. Ils doivent y réfléchir ensemble et je leur fais confiance. La SNCF détient 55 % des actions d'Eurostar, ce qui lui confère une responsabilité d'actionnaire. Mais il existe aussi des règles juridiques pour les appels d'offres. La société Alstom a déposé des recours contre la société Eurostar ; laissons la justice trancher.

Je vous remercie de votre question sur la notation de la SNCF, Monsieur Demilly car elle me permet de précision la situation. Il est souvent reproché à la France de faire bénéficier ses entreprises publiques de privilèges exorbitants qui ne seraient pas conformes au droit européen. La vérité est que la SNCF ne bénéficie ni d'une garantie explicite – qui supposerait une décision du Parlement – ni d'une garantie implicite – qui serait illégale – sur sa dette. La preuve en est que Standard & Poor's a dégradé sa note d'un cran. Certes, le renchérissement du crédit qui en découle va nous coûter plusieurs millions d'euros, mais c'est aussi la preuve que la France respecte les règles européennes de la concurrence et que la SNCF n'est pas dans une situation exorbitante du droit commun.

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