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Intervention de Jérôme Cahuzac

Réunion du 7 décembre 2010 à 21h30
Projet de loi de finances rectificative pour 2010

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJérôme Cahuzac, président de la commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire :

Avant d'aborder ce projet de loi de finances rectificative, je dirai quelques mots des décrets d'avance, notamment du dernier que nous avons examiné – donnant, sur l'une de ses dispositions, un avis défavorable et circonstancié. Le budget prévu pour la prise à bail par le ministère de la justice d'un bâtiment situé en périphérie n'avait rien à faire dans un décret d'avance : d'une part, il n'avait rien d'urgent ; d'autre part, sur le fond, la mesure n'était pas acceptable – comme l'a d'ailleurs rappelé le rapporteur spécial Yves Deniaud.

Outre ces 200 millions d'euros, des crédits supplémentaires étaient destinés, comme l'a dit le rapporteur général, à abonder les crédits d'État afin d'assumer une masse salariale non maîtrisée. Le décret d'avance parle de 930 millions d'euros, mais le rapporteur général soustrait de cette somme – à juste titre – un certain nombre de budgets. Au total, cette année, la masse salariale n'aura donc pas été maîtrisée pour un montant de l'ordre de 600 millions d'euros. Ceux qui pourraient s'en étonner devraient lire le rapport de la Cour des comptes sur l'évolution de la masse salariale de l'État : ils constateraient, comme nous qui, à la commission des finances, avons lu ce rapport avec attention, que le défaut de maîtrise s'explique facilement. L'économie brute de la mesure phare du quinquennat en matière de masse salariale – je veux parler du non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux partant en retraite – s'élevait à un milliard d'euros, dont il était prévu de rendre la moitié aux fonctionnaires restant en place, pour rendre hommage, en quelque sorte, au gain de productivité consenti par ces derniers. En réalité, l'économie brute est de 800 millions d'euros, sur lesquels 400 millions d'euros sont restitués aux fonctionnaires. Le restant étant rogné par 300 millions d'euros d'heures supplémentaires rendus nécessaires par l'obligation de continuité du service public – qu'il faut bien assurer, nonobstant le non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux –, l'économie réalisée se limite à 100 millions d'euros. J'attire votre attention, mes chers collègues, sur le fait que la loi de finances pluriannuelle que nous avons votée prévoit bien une économie de 500 millions d'euros, et non de 100 millions d'euros. Au bout de trois ans, il manquera donc plus d'un milliard d'euros !

En ce qui concerne la loi de finances rectificative elle-même, le rapporteur général a été parfaitement explicite. S'il est vrai que le déficit budgétaire s'améliore, passant de 152 milliards d'euros à 149,7 milliards d'euros, cette amélioration ne doit absolument rien à des mesures de politique publique décidées et mises en oeuvre par le Gouvernement. En réalité, elle résulte essentiellement de la baisse des taux d'intérêt, et marginalement – pour 100 millions d'euros – de la baisse de la contribution de la France au budget de l'Union européenne.

Qu'il faille attendre des événements indépendants de la volonté politique française pour obtenir une diminution du déficit budgétaire n'a rien de réjouissant : dans ces conditions, les choses risquent de devenir très difficiles dès l'année prochaine, d'autant plus que l'évolution des recettes cette année n'a pas l'ampleur que l'on pouvait espérer. Là encore, je souscris aux chiffres donnés par le rapporteur général. La TVA a rapporté 600 millions d'euros de moins que ce qui avait été annoncé par la loi de finances rectificative du mois d'avril ; l'impôt sur le revenu a rapporté, à ma connaissance, 1,4 milliard d'euros – et non 1,2 milliard d'euros, monsieur le rapporteur général ; quant à l'impôt sur les sociétés, je crois qu'il a rapporté 160 millions d'euros de moins que ce qui était prévu.

Cela montre que les recettes sont loin d'avoir eu l'élasticité à la croissance que l'on attendait. Dans le document transmis par les autorités françaises aux autorités communautaires et dans la loi de finances pluriannuelle que nous avons votée, les hypothèses économiques font état d'une élasticité des recettes à la croissance de 2 – qui n'est pas celle que nous constatons aujourd'hui pour 2010. En conséquence, la trajectoire de retour à l'équilibre des finances publiques définie par le Gouvernement dans la loi de finances pluriannuelle que nous avons votée serait d'ores et déjà obsolète.

Dans ces conditions, il faudra des recettes supplémentaires, mais lesquelles ? Comme nous le savons, le choix politique qui a été fait ne consiste pas à refuser l'augmentation des prélèvements obligatoires, mais simplement à affirmer que les prélèvements obligatoires n'augmenteront pas. Comme vous le savez, monsieur le ministre, il est expressément prévu, dans les documents budgétaires que vous avez validés, que les prélèvements obligatoires augmentent d'un point de PIB en 2011. Si les recettes sont moindres que celles prévues quand la croissance revient et si les mesures d'économies sont nettement inférieures à celles annoncées, quelles mesures envisagez-vous de prendre l'année prochaine pour respecter la trajectoire de retour à l'équilibre des finances publiques, dont chacun sait bien qu'elle ne pourra être respectée en l'état actuel des choses ?

La raison de la situation actuelle est connue. Ce ne sont pas les réformes mises en oeuvre qui sont en cause, mais le fait de ne pas avoir prévu leur financement ! La réforme de la taxe professionnelle, financée du premier au dernier euro par de l'endettement, coûtera sans doute, je le crains, plus cher que ce qui a été annoncé. Nous aurons peut-être tout à l'heure l'explication des chiffres contenus dans le rapport du rapporteur général, que j'invite chacun de nos collègues à lire. Pour ma part, je pense que ces chiffres sont exacts : la taxe professionnelle ne coûtera pas 7,3 milliards d'euros cette année, comme indiqué dans le projet de loi de finances rectificative, mais 8,9 milliards d'euros – et 2 ou 3 milliards d'euros de plus l'année prochaine.

L'honnêteté intellectuelle commande d'indiquer que ce coût s'explique en grande partie par la censure par le Conseil constitutionnel de la taxe carbone et de la taxe de 6 % sur les bénéfices non commerciaux, que notre assemblée avait votées. Cependant, la responsabilité de la situation ne saurait être imputée intégralement à la décision du Conseil constitutionnel : cette décision étant maintenant ancienne, le Gouvernement disposait de suffisamment de temps pour proposer au Parlement des recettes de substitution. On sait qu'il fut décidé d'accepter cette censure et de ne pas compenser le manque de recettes. Pire, alors que les entreprises devaient acquitter une taxe carbone pour un montant de 1,9 milliard d'euros, lorsque l'on a tenté, comme la raison le commande, de consolider au niveau de la société de tête la contribution sur la valeur ajoutée des entreprises, il a fallu que le Gouvernement refuse, au moyen d'une deuxième délibération, une recette supplémentaire de l'ordre de 150 millions d'euros que le Parlement avait pourtant votée de manière consensuelle.

On le voit, si chacun s'accorde à reconnaître la gravité du diagnostic, les avis divergent sur la façon de traiter les difficultés. Ainsi, en ce qui concerne les auto-entrepreneurs, un article de cette loi de finances rectificative met un terme à la proratisation de l'activité, c'est-à-dire du chiffre d'affaires des auto-entrepreneurs. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.) Il est évident que cet article va donner lieu à des abus, en particulier à une augmentation de la concurrence déloyale exercée au détriment des artisans dûment inscrits au registre des métiers, titulaires des assurances requises pour exercer leur profession et payant des cotisations à cet effet. Comment ne pas voir que le slogan destiné à convaincre les candidats à l'obtention de ce statut qu'ils ne paieront pas le moindre euro de taxe ni d'impôt oblige le Gouvernement à prendre des décisions en urgence ? Nous examinions cette loi de finances rectificative en commission des finances lorsque nous avons pris connaissance d'une dépêche de l'AFP nous informant que le nouveau ministre chargé du commerce et de l'artisanat avait promis aux auto-entrepreneurs que cette exonération vaudrait pour les trois années à venir, sans la moindre estimation du manque à gagner pour les finances de l'État et celles de la protection sociale.

Ce n'est pas sérieux ! On ne peut, d'un côté, s'inquiéter de la gravité de la situation de nos finances publiques et, de l'autre, prendre des décisions ne faisant l'objet d'aucun chiffrage – comme c'est le cas également au sujet de la réforme du droit des sociétés de personnes, le document budgétaire reconnaissant l'impact de ce dispositif tout en l'estimant impossible à chiffrer. Comment affirmer que l'on veut protéger les recettes et, dans le même temps, manifester une telle désinvolture à l'égard de celles-ci ?

Pour conclure, je dirai que cette loi de finances rectificative est tristement révélatrice du décalage patent entre les propos tenus par les autorités légitimes de notre pays sur ce qu'il conviendrait de faire, et la réalité de la situation financière, économique et budgétaire de la France. Quels que soient les bancs sur lesquels nous siégeons, nous ne pouvons que souhaiter que les marchés continuent à avoir confiance en la signature de notre pays. Notre dette est détenue à 70 % par des étrangers non résidents. Je ne crois pas que des lois de finances rectificatives de cette nature, marquées par l'imprécision et l'approximation, soient de nature à rassurer les marchés. Il est à craindre que ceux-ci ne s'aperçoivent un jour de la réalité de notre situation. Le coût à payer serait alors extrêmement élevé. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

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