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Intervention de Sylvia Pinel

Réunion du 19 janvier 2011 à 15h00
Garde à vue — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSylvia Pinel :

Au titre des progrès, citons l'amendement visant à confier à un juge du siège le contrôle – et non la gestion, la nuance est de taille – de la garde à vue. Dans l'attente d'une refonte globale de la procédure pénale, espérons que, grâce à ce puissant symbole, la procédure présentera toutes les garanties requises d'indépendance à l'égard du pouvoir exécutif. L'impartialité est la condition sine qua non d'un traitement juste et équitable de tous les citoyens. Le dépôt, par le Gouvernement, à la dernière minute, d'un amendement portant sur ce sujet est regrettable, et de trop nombreuses zones d'ombre subsistent, qui justifient la poursuite de discussions.

Le premier objectif avoué du projet de loi – tout le monde en convient – est de diminuer le nombre de gardes à vue. Pourtant, aucune des mesures proposées ne semble de nature à permettre une telle diminution, et la plupart des acteurs de la chaîne pénale s'accordent à dire que la limitation de la garde à vue aux seules infractions punies d'une peine d'emprisonnement aura un effet insignifiant.

Une réforme ambitieuse et équitable de la garde à vue s'emploierait à différencier le déclenchement et la durée de la garde à vue en fonction des peines encourues. Il semble donc nécessaire de fixer une juste mesure au-delà de laquelle la garde à vue ne sera pas possible et, quand elle le sera, elle pourra répondre à des procédures allégées. C'est une piste qu'il est nécessaire d'explorer et de développer.

De même, il ne suffit pas d'inscrire dans la loi le principe de respect de la dignité de la personne humaine. Encore faut-il pouvoir en garantir les conditions matérielles. À défaut, tout cela ne sera qu'un leurre et la Cour européenne des droits de l'homme ne s'y trompera pas.

En ce qui concerne la mise en oeuvre du nouveau rôle dévolu à l'avocat, la question des moyens qui seront mis à disposition est primordiale. Concrètement, il s'agit d'assurer la présence d'un avocat dès le début de la garde à vue, lors des auditions, et de lui permettre d'accéder à certains documents de la procédure, de jour comme de nuit, sur l'ensemble du territoire national.

Une réforme de la garde à vue ne sera pas possible sans une prise en compte des contraintes humaines, matérielles, et financières. Il faudra, par exemple, renforcer et aménager les services de police et les unités de gendarmerie, et prendre en compte la rétribution des avocats commis d'office au titre de l'aide juridictionnelle. Dans les faits, il serait purement inconcevable que les plus démunis – qu'ils soient gardés à vue ou victimes – se voient contraints, au cours de la procédure, de renoncer à l'assistance d'un avocat, faute de moyens.

L'effectivité de ces nouvelles mesures va de fait nécessiter une réorganisation structurelle profonde. Il est regrettable que les propositions de financement soient pour l'instant inexistantes. À l'évidence, ce n'est pas la prétendue « augmentation » du budget de la justice annoncée pour cette année qui permettra de soutenir la mise en oeuvre de ce projet, notamment l'augmentation attendue des moyens alloués au magistrat du siège.

Nous ne pouvons accepter d'inscrire dans le texte de loi – à la va-vite – des principes inapplicables dans les faits. Ce qui se joue là est fondamental pour l'image de la République et l'examen de ce texte doit permettre de former le consensus le plus acceptable possible. Il n'est nullement question d'ouvrir une brèche à la criminalité organisée ou au terrorisme en offrant aux gardés à vue les moyens de ralentir la procédure judiciaire.

Les trois experts auditionnés en commission des lois l'ont dit très clairement : le report de la présence de l'avocat, extrêmement sensible et dangereux, doit être circonstancié, fondé sur une motivation concrète, au cas par cas, indépendante de la simple nature de l'infraction. Certains points auxquels se heurtent ouvertement conceptions sécuritaires et libertaires méritent donc d'être approfondis et affinés.

Cette réforme imposée de la garde à vue ne correspond qu'aux minima attendus en matière de procédure pénale, sans parvenir à satisfaire les attentes européennes et nationales. Le texte comporte certaines lacunes qui devront être comblées ; je pense notamment à la question essentielle des régimes dérogatoires.

Les députés radicaux de gauche défendent avant toute chose les valeurs insufflées par nos institutions républicaines. Ils militent pour une action judiciaire confortée, impartiale et transparente. Face à l'engrenage de l'humiliation qui caractérise depuis trop longtemps la garde à vue, spécificité française à l'instar de nos prisons, nous souhaitons que le texte adopté soit exemplaire. Espérons que nombre des propositions et réserves émises par nos collègues parlementaires seront entendues par le Gouvernement.

Je l'ai déjà dit, je le redis : la recherche d'un point d'équilibre doit prévaloir. Toute la difficulté consiste à trouver la juste mesure entre respect des droits et quête de la vérité. La réussite de ce texte repose en grande partie sur la manifestation d'une volonté raisonnable, intelligente et constructive de la part de l'État républicain. Sans cette volonté gouvernementale – qui reste encore à démontrer –, les juges européens et nationaux seront, vous le savez, dans l'obligation de corriger une nouvelle fois notre législation.

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