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Intervention de Marie-Ève Joël

Réunion du 26 janvier 2011 à 10h00
Commission des affaires sociales

Marie-Ève Joël, économiste, professeure à l'université de Paris-Dauphine, présidente du conseil scientifique de la Caisse nationale pour la solidarité et l'autonomie, CNSA :

Je ne vais pas me laisser enfermer dans mon rôle d'économiste et vous parler uniquement du financement.

Les enjeux financiers des soins de long terme, de la dépendance, de la perte d'autonomie – j'assume ce langage incorrect – sont connus. Il faudra trouver 8 milliards d'euros en année pleine autour de 2025.

Le contexte est mouvant. D'un côté, les avancées sont incontestables avec l'APA, la création de la CNSA, la modernisation des établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD), la loi du 11 février 2005. De l'autre, les incertitudes sont importantes dans plusieurs domaines : l'espérance de vie – que deviendront les femmes qui boivent et qui fument et les obèses, quelles seront les conséquences du stress au travail et de la précarité ? – ; l'évolution des modes de vie et du travail des femmes ; la demande des générations futures ; l'évolution des pathologies ; l'évolution des salaires, des conditions de travail, des métiers du médico-social, des possibilités d'immigration.

Il y a toute une gamme de propositions financières pour trouver des ressources nouvelles – par la CSG, la journée de solidarité, le capital des personnes âgées, les assurances privées, la taxation des jeux de hasard – ou pour concentrer l'action publique sur les plus pauvres, les plus dépendants, les personnes atteintes de la maladie d'Alzheimer...

Ce débat financier a débouché sur des scénarios – de la CNSA, du Sénat ou du rapport de Mme Rosso-Debord – qui mettent en jeu des représentations de la solidarité nationale autour d'un nouveau risque. Le « plus » qui sera apporté à la dépendance aura une valeur symbolique et traduira la conception plus ou moins généreuse du corps social à l'égard des vieux. N'oublions pas, toutefois, que les choses sont plus délicates en période de déficit public…

Si le débat financier est incontournable, il ne faut pas se laisser enfermer dans une représentation purement financière de la solidarité, dans le terrorisme du chiffre et dans l'idée que non seulement il n'est pas drôle de vieillir mais qu'en plus, cela coûte cher… Pour éviter cette dérive, il faut se tourner vers les acteurs familiaux des soins de long terme et de la dépendance – je laisserai de plus experts que moi vous parler des professionnels et de la maladie d'Alzheimer.

La dépendance s'inscrit dans la politique familiale : tous les acteurs de la famille sont concernés ; la famille est le premier financeur ; les enjeux de gestion sont tout aussi importants pour les familles que les simples questions financières ; la puissance publique peut intervenir vite et à faible coût pour régler des problèmes concrets, spécifiques à la dépendance.

La perte d'autonomie concerne différents acteurs familiaux. La personne âgée elle-même a besoin que l'on prenne en charge sa perte d'autonomie. Son conjoint est généralement retraité et menacé de pauvreté. Ses enfants sont amenés à gérer des situations complexes d'organisation de la prise en charge et de compatibilité entre leur propre activité professionnelle et les soins et aides à leur parent âgé. En outre, les petits-enfants sont menacés d'obligation alimentaire, de perte d'héritage car tout aura été dépensé, ils devront rembourser la dette publique que nous accumulons. Ils voient leurs parents se consacrer non pas à eux mais à leurs propres parents, au détriment de la transmission intergénérationnelle : c'est la « quadruple peine » !

Quel est l'état de ce que j'appellerai « familles et dépendance » ? L'aide en nature représente la part majeure de la contribution familiale ; 3 200 000 personnes âgées sont aidées par deux personnes ; les hommes sont aidés à 70 % par leurs conjointes, les femmes – qui sont plus nombreuses et qui vivent plus vieilles – à 35 % par leurs conjoints ; le conjoint aidant a en moyenne 70 ans, et l'enfant aidant – généralement actif, contrairement au conjoint aidant – 51 ans. L'aide de la famille peut atteindre 35 à 40 heures par semaine en cas de grande dépendance. Cela peut poser des difficultés au travail : chacun connaît une personne d'environ 50 ans qui aide son parent dépendant et dont le travail est très perturbé. Peut-être y a-t-il une deuxième journée de solidarité à chercher dans la contribution – cachée mais existante – du milieu professionnel : on est souvent tolérant avec un collègue qui a un problème avec sa vieille maman...

La contribution des ménages atteint 7 milliards d'euros, auxquels s'ajoute ce que font les municipalités. L'évaluation du reste à charge est à la fois une prise de conscience par la collectivité de la charge familiale que représente la dépendance et une remise en cause d'une conception assise uniquement sur le point de vue de l'« aide sociale ».

Les questions financières sont bien identifiées : l'APA ne couvre pas toutes les dépenses relatives à la dépendance ; l'équité de la répartition du reste à charge après APA n'est pas garantie ; la pauvreté du conjoint et des classes moyennes, exclues de l'aide sociale et des exonérations fiscales, sont des phénomènes connus.

Tel n'est pas le cas des problèmes de gestion assez lourds auxquels sont confrontées les personnes qui gèrent les soins de long terme ou la perte d'autonomie.

En premier lieu, une personne âgée en perte d'autonomie et avec des troubles neuro-dégénératifs est souvent peu apte à gérer son budget et sa propre prise en charge, mais pas toujours prête à déléguer cette tâche à ses enfants. C'est l'aidant principal qui est amené à dire la réalité économique à son parent en perte d'autonomie, à lui expliquer qu'il faut vendre un bien familial s'il n'y a plus assez d'argent, ou qu'il faut aller en établissement si le maintien à domicile devient impossible. C'est également lui qui entre, par anticipation, dans les questions d'héritage.

En outre, cet aidant doit gérer non seulement ses propres affaires économiques, mais aussi celles de ses parents dans un contexte où l'on prend en compte les incapacités physiques, un peu les incapacités psychologiques et pas du tout les incapacités économiques.

Il lui faut par ailleurs gérer la « PME familiale », accepter un défilé permanent à la maison, adapter sans cesse l'organisation familiale et la prise en charge. Si certains ont la chance d'être aidés par un merveilleux service d'aide à domicile, comme celui que dirige Bernard Ennuyer, ce n'est hélas pas la généralité.

Il est également nécessaire de gérer la maltraitance financière. Les personnes âgées se font voler assez fréquemment, pour des sommes parfois importantes et selon différentes formes : services à la personne surpayés, abus de faiblesse, réalisation du patrimoine à l'insu de la personne âgée…

De mon point de vue, tous ces problèmes de gestion sont au moins aussi importants que les problèmes financiers. Il faut s'en préoccuper.

Enfin, pour mettre en oeuvre une réelle solidarité, un certain nombre de problèmes concrets peuvent être traités sans que cela ait une importante incidence financière.

Je pense tout d'abord à l'incontinence. Des pays ont avancé sur ce point : une ergonomie urbaine légère peut permettre d'installer des toilettes propres et entretenues et éventuellement des bancs Cela facilite la vie des personnes dépendantes, trop souvent obligées de rester à la maison avec les couches et l'aide soignante…

Autre exemple, les problèmes d'alimentation, qui touchent des personnes atteintes de la maladie de Parkinson ou souffrant des dents. La vulgarisation des connaissances à ce sujet et la création d'un rayon dédié dans les grandes surfaces simplifieraient grandement la vie des familles.

La paille coudée est, selon moi, le meilleur modèle économique : elle ne coûte rien, est très pratique pour boire, elle permet de ne pas se salir. Seuls les enfants l'utilisent, mais elle pourrait être généralisée.

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