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Intervention de Alain Juppé

Réunion du 4 mai 2011 à 17h00
Commission des affaires étrangères

Alain Juppé, ministre d'état, ministre des affaires étrangères et européennes :

Plusieurs d'entre vous m'ont demandé si l'élimination de Ben Laden ne changeait pas complètement la donne, et s'il n'était pas temps d'envisager un retrait de nos troupes d'Afghanistan.

Un premier élément de réponse est qu'Al-Qaida n'est pas notre seul adversaire en Afghanistan ; je dirais même qu'il n'est pas le principal. Al-Qaida a été fortement déstabilisé, et le fait que Ben Laden ait dû se réfugier au Pakistan est assez révélateur. D'autres réseaux talibans, qui ne sont pas tous affiliés à Al-Qaida, poursuivent toutefois leur lutte contre nous, et surtout contre le gouvernement afghan.

Je rappelle, en second lieu, que nous ne sommes pas seulement présents sur le terrain pour lutter contre le terrorisme, mais aussi pour aider le gouvernement afghan à reconquérir son territoire et à y faire régner la loi telle qu'elle résulte de l'application de la constitution et des principes démocratiques. Une grande partie de nos efforts tend à aider la police et l'armée afghanes à prendre peu à peu le relais. C'est la mission d'une centaine de personnes que nous avons déployées sur le terrain. Il serait absurde de plier bagage tout de suite : cela fragiliserait considérablement le gouvernement afghan, tout en laissant la voie libre aux talibans, avant même que le processus de réconciliation ait pu porter ses fruits.

Faut-il, pour autant, en rester au statu quo, sans réfléchir à d'éventuelles inflexions ? Je ne le pense pas, mais nous devons nous garder de toute précipitation. Il faut réaliser un effort d'analyse et de réflexion, avec tous nos alliés, sur les conséquences à tirer. L'horizon que nous nous étions fixé, c'était 2014. Faut-il revoir le calendrier ? Notre objectif est de passer le flambeau dans la région de la Surobi, que nous sécurisons aujourd'hui, au courant de l'année 2011. Si nous y parvenons, cela nous offrira sans doute des éléments d'analyse et de réflexion. Je ne suis pas fermé à une réflexion, mais il ne faudrait pas prendre de décision prématurée.

J'ajoute que nous devons contribuer à la reconstruction de l'Afghanistan. M. Kucheida nous dit que les regards sont lourds, mais nous avons aussi des témoignages, dont nos militaires se font l'écho, de reconnaissance à l'égard de la France. Nous réalisons, en effet, un travail de reconstruction des routes, et nous soignons des jeunes gens à l'hôpital français de Kaboul.

Nous soutenons, par ailleurs, les discussions de réconciliation avec les talibans en suivant les mêmes « lignes rouges » qu'ailleurs : on peut parler avec ceux qui abandonnent la violence et le terrorisme, et qui acceptent la constitution afghane et les principes démocratiques qu'elle établit. Il faut reconnaître que ce dialogue n'a pas produit des fruits considérables pour le moment, mais il faut continuer.

Le Pakistan sera un acteur incontournable pour une solution politique en Afghanistan. Vous savez que j'ai longuement rencontré le Premier ministre pakistanais ; je lui ai dit que nous étions surpris que M. Ben Laden ait pu vivre pendant plusieurs mois à 50 kilomètres du centre d'Islamabad sans attirer l'attention. Il m'a répondu que c'était « a failure of the intelligence service » – un « échec des services de renseignement », argument dont j'ai pris acte. Mon interlocuteur m'a assuré de sa détermination à lutter contre le terrorisme, qui frappe aussi très durement son pays, et de sa volonté de participer à un processus de réconciliation en Afghanistan avec les Américains et les Afghans.

Je le répète, il nous faut éviter tant la précipitation que l'immobilisme. Le Président de la République l'a redit aujourd'hui même dans un entretien accordé à un grand hebdomadaire français.

J'en viens maintenant au processus de paix et aux conséquences de l'accord entre le Fatah et le Hamas. Nous sommes des amis d'Israël. Nous sommes très attachés à la sécurité de ce pays, à son intégrité territoriale et à la reconnaissance de sa légitimité sur cette terre, qui est celle du peuple juif. Cela dit, le statu quo est intenable. Le gouvernement israélien va vers de graves difficultés s'il ne prend pas conscience des conséquences potentielles des changements géostratégiques actuels. L'Egypte d'aujourd'hui n'est plus celle de Moubarak. Ses dirigeants se sont certes engagés à respecter les traités de paix, mais le contexte n'est plus le même. Des événements se passent aussi en Syrie, avec des répercussions sur la situation au Liban. Nous appelons donc le gouvernement israélien à revenir à la table pour discuter avec les Palestiniens, sur la base des critères que vous savez, notamment pour les frontières.

Pour l'instant, les Américains ont échoué. L'Union européenne est considérée, au Proche-Orient, moins comme un acteur que comme un tiroir-caisse. Les Européens tentaient de définir une politique commune, fondée sur une plus grande fermeté, pour appeler les protagonistes à discuter, quand est survenue la signature de l'accord entre le Fatah et le Hamas. D'aucuns y voient la marque de la crainte du Hamas de perdre des soutiens. Mais nous ne pouvons pas être hostiles a priori à une réconciliation entre Palestiniens, tout en nous demandant ce qu'elle cache. Le Hamas est-il prêt à renoncer au terrorisme et à la violence ? À reconnaître les traités internationaux ainsi que l'existence d'Israël ? L'accord qui sera signé aujourd'hui au Caire est ambigu. C'est pourquoi nous nous sommes contentés d'envoyer un témoin.

La France ne saurait rester passive en attendant le rendez-vous de septembre. Elle va, dans l'intervalle, prendre l'initiative pour déclencher de nouvelles discussions. L'idée serait de transformer la conférence des donateurs de fin juin en véritable conférence politique. M. Netanyahou est à Paris demain ; le Président de la République le recevra et lui exprimera ce que je viens de dire. Aujourd'hui, il est à Londres, où on lui tient le même discours. Quelle va être notre capacité à le faire évoluer ? Vous connaissez l'homme, son caractère et sa détermination. Ce n'est pas un jugement de valeur que je porte. Du côté américain, il y a peu d'initiative aujourd'hui. Notre idée, c'est de tenter l'initiative de la dernière chance de façon qu'en septembre, quand la question de la reconnaissance se posera, l'on puisse se dire que l'on a tout essayé. Nous ne sommes pas décidés à reconnaître l'Etat palestinien en septembre avant d'avoir vu ce qui se passera d'ici là. Cela étant, il ne faut pas se bercer d'illusions : la reconnaissance ne réglera pas tout, même s'il s'agit d'un symbole très fort.

S'agissant de la Côte-d'Ivoire, je ne peux pas laisser dire qu'il y règne un grand désordre. Il reste certes des poches de résistance à Abidjan, mais, globalement, la sécurité s'est considérablement améliorée : la vie quotidienne reprend, l'économie aussi. M. Ouattara a engagé un véritable processus de réconciliation nationale. Il vient de nommer à la tête de la commission Vérité et réconciliation, M. Konan Banny, une personnalité unanimement respectée, qui a toujours tenu une position d'équilibre entre les parties. Kofi Annan était sur place ces derniers jours pour enquêter, et il doit m'appeler pour me donner son sentiment. Les choses vont dans la bonne direction et nous apporterons un soutien marqué à la Côte-d'Ivoire : le Président de la République nous a demandé un plan d'action axé sur le domaine économique et je me rendrai à l'investiture de M. Ouattara à Yamoussoukro. Ce n'est pas faire preuve d'un excès d'optimisme que de dire que le plus difficile est derrière nous.

À propos de l'immigration, la réponse de M. Barroso à M. Berlusconi et à M. Sarkozy est très positive. Pour la première fois, la Commission entre dans notre logique, à savoir que l'immigration illégale est un fléau pour tout le monde, pour les pays d'origine comme pour ceux de destination, et pour les migrants eux-mêmes qui sont traités comme du bétail par certains réseaux. Il faut donc se donner les moyens de l'enrayer grâce à de meilleurs contrôles aux frontières extérieures de l'Union, et en coopération avec les pays d'origine eux-mêmes.

La révolution survenue en Tunisie a eu pour effet d'y faire disparaître la police, donc les contrôles. Il faut aider ce pays à remettre en place un corps des douanes, et il est disposé à signer avec la France un accord de réadmission comme il l'a fait avec l'Italie. Nous réclamons aussi le renforcement de Frontex. Monsieur Myard, le Parlement français a ratifié les accords de Schengen et les traités internationaux prévalent, vous le savez bien, sur la règle nationale. Enfin, M. Barroso accepte l'idée d'une clause de sauvegarde au cas où un État ne serait plus en mesure d'assurer les contrôles à la frontière Schengen.

Au Maroc, les initiatives de la monarchie méritent d'être soutenues. Dès son arrivée au pouvoir, le roi Mohammed VI a fait preuve d'un grand esprit d'ouverture. D'ailleurs, les manifestations n'ont donné lieu de part et d'autre à aucun dérapage. Ensuite, l'attentat de Marrakech montre que des terroristes veulent à tout prix bloquer le processus engagé. La résolution du Conseil de sécurité, qui prolonge la mission des Nations unies au Sahara occidental tient compte des efforts accomplis sur le terrain des droits de l'homme : un conseil des droits de l'homme a été créé, et le Maroc s'est déclaré prêt à accepter des observateurs.

Concernant l'Algérie, la prudence est de mise. Il est difficile d'imaginer que les aspirations de la population n'y soient pas les mêmes que chez ses voisins. Tous les ingrédients sont réunis : une jeunesse nombreuse et désoeuvrée, un régime en place depuis longtemps. J'espère que le régime algérien aura la sagesse d'évoluer. Cependant, souvenez-vous, monsieur Julia, que, quand ils ont gagné les élections municipales en 1992, les Frères musulmans n'avaient rien de modéré ce qui explique que nous ayons approuvé tacitement la décision du gouvernement algérien de ne pas tenir compte de ces élections. Le terrorisme a fait 200 000 victimes en Algérie, et ce traumatisme explique peut-être les réactions propres à ce pays.

Quelque interprétation que vous donniez à ce que j'ai dit à propos de la Libye et de la Syrie, il n'y a pas deux poids et deux mesures. Nous réclamons l'inscription de Bachar Al-Assad lui-même sur la liste des personnes faisant l'objet de sanctions de l'Union européenne, après avoir espéré qu'il évoluerait. Faute d'avoir été entendus, nous avons adopté une position plus stricte, conforme à celle prise à l'égard d'autres pays.

Les Nations unies ont nommé un groupe consultatif d'experts, qui a rendu son rapport sur le Sri Lanka en avril 2011. Les autorités de ce pays considèrent qu'il se fonde sur des éléments partiaux qui n'ont pas été vérifiés. La situation n'est donc pas simple. Nous avons renouvelé notre appel au gouvernement pour qu'il collabore de manière constructive avec la communauté internationale et que la commission sur la réconciliation tire parti du rapport des experts. Nous incitons les autorités sri-lankaises à s'engager, à l'exemple de l'Afrique du Sud, dans un processus Vérité et réconciliation.

Je reviens un instant à la Côte-d'Ivoire pour vous préciser que M. Ouattara avait promis que, si des atrocités avaient été commises par ses partisans, ils seraient identifiés, poursuivis et punis.

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