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Intervention de Alain Juppé

Réunion du 4 mai 2011 à 17h00
Commission des affaires étrangères

Alain Juppé, ministre d'état, ministre des affaires étrangères et européennes :

J'ignore quelles seront les conséquences de l'élimination de Ben Laden sur le sort de nos otages. Elle peut susciter des représailles – et nous devons rester extrêmement vigilants en France comme à l'étranger – ou bien, au contraire, fragiliser les mouvements terroristes et les inciter à se montrer plus ouverts à la négociation, ce qui pourrait débloquer la situation de nos deux journalistes en Afghanistan, de nos quatre otages au Mali, de notre otage en Somalie. Il ne reste qu'à souhaiter que Gérard Longuet ait raison.

Au sujet de la Libye, j'ajoute seulement que le Président de la République veut organiser une conférence des amis de la Libye, pour réunir tous les acteurs qui vont reconstruire le pays : le Conseil national de transition, mais aussi les autorités traditionnelles – les tribus dont une cinquantaine ont lâché Kadhafi – et, le plus difficile, les officiels qui ont fait défection.

Quant au Rwanda, je distinguerai mon sentiment personnel, que je garde pour moi, et l'intérêt de la France. J'espère seulement qu'un jour la vérité historique sera faite sur ce qui s'est passé au Rwanda à partir de 1993. Un rapport du Conseil de sécurité, qui n'a pas fait l'objet d'une grande publicité jusqu'à présent, pointe les crimes commis en République démocratique du Congo. Sur un plan diplomatique, nous avons intérêt à avoir de bonnes relations avec le Rwanda et le processus amorcé par le Président de la République doit être poursuivi dans des conditions convenables. M. Kagamé a dit que je ne serais pas le bienvenu au Rwanda, et je lui ai répondu que je n'avais pas l'intention d'y aller tant que circulerait le rapport qui met en cause M. Mitterrand, M. Balladur, M. Védrine, M. de Villepin, M. Léotard, moi-même et l'armée française. Ce tissu d'inventions et de mensonges est destiné à créer un contre-feu à l'instruction judiciaire menée en France. Comme je l'ai dit devant la commission de l'Assemblée nationale présidée par M. Quilès, l'opération Turquoise est à l'honneur des militaires français qui ont sauvé des centaines de milliers de vies.

La situation humanitaire en Côte-d'Ivoire est très difficile. Nous avons débloqué une aide d'urgence de 2,5 millions d'euros, nous réapprovisionnons en médicaments les hôpitaux d'Abidjan et, surtout, nous mobilisons les fonds européens, monsieur Myard, car nous sommes plus généreux à vingt-sept que tout seul. La difficulté réside avant tout dans le retour des centaines de milliers de déplacés, en particulier des réfugiés au Liberia, qui sera possible une fois la paix consolidée – d'où la nécessité de prolonger la mission de l'ONUCI. En revanche, nous réduirons progressivement le format de la force Licorne jusqu'à nous retirer de Côte-d'Ivoire puisque notre positionnement est désormais axé sur Djibouti et le Gabon.

Monsieur Clément, les États-Unis ne nous ont pas demandé notre avis ! Je comprends vos scrupules de juriste, mais je ne pleurerai pas sur le cadavre de Ben Laden. Oui, Kadhafi est populaire à Tripoli – auprès de ceux qui sont sous sa coupe. Il arrive qu'un dictateur soit acclamé un jour et conspué le lendemain. Ne prêtons donc pas trop d'importance à l'enthousiasme des foules tripolitaines.

Il n'y a sur le sol libyen que des instructeurs, une dizaine d'officiers de liaison qui aident le Conseil national de transition à s'organiser. Je n'ai pas en tête le coût de l'opération en Libye, mais M. Longuet vous a précisé qu'elle restait à l'intérieur de l'enveloppe OPEX.

À Marrakech, l'enquête avance. Des enquêteurs français sont venus en soutien des enquêteurs marocains. On semble avoir identifié deux suspects mais il n'y a pas eu de revendication. On a sans doute ciblé les touristes, comme en Indonésie ou ailleurs, pour déstabiliser l'économie. Il se trouve que beaucoup d'entre eux sont français mais il n'y a aucune raison de penser que la France était visée.

Le roi du Maroc a affiché un calendrier et mis en place une commission de réforme constitutionnelle qui rendra son rapport en juin. Sur cette base, il engagera ensuite rapidement une réforme limitant les pouvoirs du roi et instituant un pouvoir exécutif de plein exercice. C'est pourquoi j'ai parlé de monarchie constitutionnelle.

J'ai beau tendre l'oreille depuis plusieurs jours, je n'entends guère le service européen pour l'action extérieure. Mon collègue suédois a infligé une volée de bois vert à notre Haute représentante. Le service d'action extérieure n'est pas très ancien ; il faut qu'il apprenne à réagir en temps réel.

Le printemps arabe est une occasion de relancer l'UPM qui correspond à une vision stratégique. L'immigration clandestine est un fléau mais il n'est pas question de construire un mur au milieu de la Méditerranée. La seule solution à long terme, c'est de permettre aux jeunes, qu'ils soient égyptiens, tunisiens ou marocains, de vivre au pays dans la liberté. Et c'est pour nous un enjeu vital puisqu'en 2050, l'Afrique comptera 2 milliards d'habitants. L'UPM peut bénéficier de tous les mécanismes de l'Union européenne : le fonds de voisinage et de proximité, les facilités diverses et la BEI. Nous souhaitons aussi que la BERD étende ses compétences aux pays du Sud. L'Europe a un énorme effort d'accompagnement à faire, nos partenaires en sont conscients. La création d'un office méditerranéen de la jeunesse aurait un impact positif. En tant que président du G8, le Président de la République a invité la Tunisie et l'Égypte dans le but de sensibiliser les grandes puissances économiques et d'élaborer un plan d'action.

Entre l'OTAN et l'Union européenne, il n'y a pas beaucoup d'interopérabilité parce que la seconde n'opère pas. Mais je ne me résigne pas à cette situation. Il faut relancer la politique commune de sécurité et de défense. Nous avons écrit en ce sens à Mme Ashton qui doit faire des propositions au conseil des ministres des affaires étrangères des 23 et 24 mai. Mais il n'y a pas que des échecs : l'opération Atalante est une réussite, comme celle menée au Congo.

Quant à la politique étrangère de la France, ce n'est pas d'aujourd'hui qu'elle défend les droits de l'homme même si nous nous sommes laissé intoxiquer par des dictateurs qui expliquaient qu'ils étaient le meilleur rempart contre l'islamisme. Nous avons eu tort et nous devons être aujourd'hui plus exigeants que jamais en matière de démocratie. Il n'y a pas, à l'exception peut-être de la Chine, de développement économique sans liberté.

La négociation pour la libération d'Hervé Ghesquière et de Stéphane Taponier a failli aboutir en début d'année, mais un blocage de dernière minute a surgi. Nous avons repris les discussions mais, pour ne pas susciter de faux espoirs, je ne donnerai pas d'information plus précise. Il en va de même au Mali.

Au Burkina Faso, des militaires se sont révoltés parce qu'ils considéraient être maltraités. Le Président Compaoré a changé son équipe ministérielle et la situation s'est apaisée. Cela dit avec toute la prudence requise, je souhaite que les pays africains tiennent compte de ce qui se passe ailleurs car les mêmes causes produisent les mêmes effets. Certains y parviennent, tel le Niger qui a réussi ses élections. Des élections sont en préparation dans une dizaine d'États africains et ne rien faire en Côte-d'Ivoire aurait constitué un contre-signal pour l'ensemble de l'Afrique.

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