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Intervention de Jean-Louis Bianco

Réunion du 5 octobre 2011 à 9h45
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Louis Bianco, président :

Concernant le dossier nucléaire et les relations internationales, auxquels je vais consacrer mon intervention, notre rapport de décembre 2008 s'achevait sur la recommandation suivante : ouvrir un véritable dialogue avec l'Iran en levant toute condition préalable, c'est-à-dire sans poser comme condition l'arrêt des activités liées au retraitement et à l'enrichissement de l'uranium, dans la mesure où l'Iran avait systématiquement refusé cette voie.

Force est de constater que le Président Obama a accompli cette démarche d'ouverture, y compris dans son discours du Caire, et il a, entre autres choses, évoqué par deux fois la « République islamique », signifiant que son intention ne serait pas un changement de régime, au contraire de l'administration précédente. Pour résumer, les Iraniens n'ont pas saisi cette main tendue.

Il est patent, lorsque l'on discute avec des responsables de l'AIEA de différentes époques ou avec des négociateurs français et étrangers, que les Iraniens n'ont fait que gagner du temps. Quelques pseudo avancées ont été enregistrées, des hésitations ont pu traverser la classe dirigeante, mais dans l'ensemble le régime poursuit imperturbablement un programme nucléaire qui a évidemment des visées militaires.

Il est frappant de constater le relatif consensus qui existe au sein de la classe politique iranienne sur le dossier nucléaire, y compris ses visées militaires. La différence réside sans doute dans le fait que certains le placent plus bas que d'autres dans l'agenda. C'est le cas des conservateurs autour des Gardiens de la révolution, pour qui la priorité serait l'ouverture économique, en vue d'un développement du pays et des gains qu'ils pourraient en tirer. Au sein de la population, il existe un consensus sur le droit de l'Iran au nucléaire civil, mais sans bien distinguer les visées militaires du programme des visées civiles.

Les Iraniens ont connu des difficultés dans la conduite de leur programme. Les experts débattent de l'ampleur des retards. Indiscutablement, les virus informatiques, les pressions, les enlèvements et les assassinats, dont on devine l'origine, ont compliqué la tâche. Cependant les Iraniens avancent, avec des quantités d'uranium enrichi qui leur permettraient, quoiqu'ils ne disposent pas de toutes les étapes de la technologie, de fabriquer à échéance de deux ou trois ans des têtes nucléaires. Ils développent par ailleurs un programme balistique devant notamment permettre d'emporter des têtes nucléaires.

Il nous semble, comme à nos interlocuteurs, que l'Iran n'a pas forcément, à ce jour, décidé la fabrication d'une arme nucléaire, mais il se dote des moyens de pouvoir la fabriquer. Cela constituerait pour l'Iran, qui a la mémoire du conflit avec l'Irak, un facteur de dissuasion et cette possibilité lui fournit une arme politique lui permettant d'exercer une influence sur les affaires de la région et au-delà.

L'AIEA a confirmé dans ses différents rapports le fait que les Iraniens ne répondent pas à de nombreuses interrogations. Des documents, provenant probablement des services secrets, font état d'instructions précises sur le développement de l'uranium métal à partir de l'hexafluorure d'uranium et sur le développement du programme balistique. L'ambassadeur d'Iran auprès de l'AIEA à Vienne, dans cette façon typique de mentir qu'ont les responsables iraniens, m'a fait la remarque selon laquelle ces documents sont des faux puisqu'ils ne portent pas la mention « confidentiel défense ». Je ne suis pas sûr qu'une telle mention serait portée pour attirer l'attention de tout le monde…

On ne voit donc pas d'avancées dans les négociations mais le temps passe. Je rappelle brièvement l'épisode autour du réacteur de recherches à Téhéran produisant des radio-isotopes radioactifs, pour lesquels les Américains avaient proposé que l'uranium soit enrichi à l'étranger, en Russie et en France. Les Iraniens ont refusé. La Turquie et le Brésil ont ensuite formulé une proposition analogue mais avec deux différences majeures : il n'était pas prévu de contrôles et il était demandé la levée des sanctions. Cette proposition n'était évidemment pas recevable pour le groupe des Six.

Concernant le rôle régional de l'Iran, la société iranienne est plus ouverte, plus moderne, notamment dans la sphère privée qui constitue un espace de refuge. Cette société iranienne n'est en aucun cas antisémite ni antisioniste. Le « mouvement vert » a été le précurseur des révolutions arabes, avec 2 millions de personnes dans la rue, mais le régime a été particulièrement brutal et sophistiqué dans la répression en ciblant les personnes, les familles, les enfants, sans être nécessairement obligés de tirer sur les manifestants. Des conseils en ce sens au régime syrien ont probablement été prodigués au cours des derniers mois.

L'Iran a été embarrassé par les révolutions arabes et a tenté de récupérer ces mouvements. Mais nulle part, ni en Tunisie, ni en Libye, ni même à Bahreïn et au Yémen, les manifestants n'ont fait référence au modèle de régime iranien. Bien au contraire. L'Iran n'a pas pesé sur les évènements, sauf peut-être en Syrie en donnant des conseils « techniques » en matière de répression et sans doute quelques conseils de modération ou d'ouverture au régime. A Bahreïn, le soulèvement a une dimension chiite, mais ce n'est pas une dimension chiite pro-iranienne. Les Iraniens n'ont été que des spectateurs.

Le jeu iranien est subtil et marqué par une volonté de puissance. Ce pourrait être un rôle positif compte tenu de son influence en Afghanistan, en Irak, au Liban et Palestine ; mais tel n'est pas le cas. L'Iran a acquis un pouvoir politique et économique important en Irak et en Afghanistan, au moins dans la région de Herat, ce qui est à relier avec le rôle croissant des Gardiens de la révolution, dans le pays comme à l'extérieur.

En réponse à la situation, la communauté internationale a accentué les sanctions. La résolution 1929 qui les durcit a été votée – c'est important de le noter – avec le soutien de la Russie et de la Chine, mais l'opposition du Brésil et de la Turquie et l'abstention du Liban. S'y ajoutent des sanctions unilatérales, sans base juridique internationale, de l'Union européenne, des Etats-Unis et de plusieurs autres pays, qui ont une certaine efficacité économique mais n'ont pas fait bouger le régime d'un pouce dans sa détermination à poursuivre son programme nucléaire.

On est donc assez désarmé. Mais n'est-ce pas une illusion prométhéenne de croire que grâce à notre génie et nos valeurs nous forcerons les évolutions du monde ? On peut comprendre, accompagner des évolutions, mais pas les forcer. Un certains nombre d'initiatives peuvent toutefois être prises.

D'abord, de nouvelles sanctions nominatives pourraient être adoptées concernant le gel des avoirs ou l'interdiction de visa. Elles ont certes un effet moindre qu'en Syrie car il n'y a pas la même communauté d'hommes d'affaires souhaitant développer leurs activités à l'international. Les Iraniens sont cependant gênés par ces sanctions, brimés et irrités au point par exemple d'avoir envisagé des mesures de rétorsion contre des Américains. Il s'agit de cibler des ministres, des chefs de la police, des chefs de prison qui prennent part à la répression de toute opposition.

Par ailleurs, un certains nombre d'associations, notamment des ONG américaines, travaillent pour permettre aux internautes d'échapper à la police d'internet, qui est en Iran aussi forte qu'en Chine. De la même manière, les autorités brouillent en Iran les émissions qui proviennent du reste du monde, notamment de France, du Royaume-Uni et des Etats-Unis. Il n'y a pas de moyens juridiques de demander à Eutelsat, le principal diffuseur, d'exiger qu'il soit mis un terme au brouillage des émissions étrangères. Cependant, il s'agit d'une question politique : peut-on accepter que des entreprises profondément connectées au monde occidental se fasse complice d'un régime qui brime sa population en matière d'accès à l'information ?

Telles sont donc les pistes – modestes – proposées : continuer d'abord à être attentif, sur le dossier nucléaire, sachant que l'AIEA, avec une nouvelle équipe, fait très sérieusement son travail ; ensuite poursuivre une politique de sanctions nominatives et, enfin, mettre tout en oeuvre pour accroître la liberté d'information que ce soit sur internet ou par l'accès aux télévisions non iraniennes.

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