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Intervention de Pierre Lasbordes

Réunion du 9 avril 2008 à 15h00
Opérations spatiales — Discussion d'un projet de loi adopté par le sénat

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPierre Lasbordes, rapporteur de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire :

Monsieur le président, je souhaite tout d'abord m'associer aux propos élogieux exprimés par Mme la ministre à l'égard de notre regretté collègue Christian Cabal, et à l'égard des femmes et des hommes de l'ESA, du CNES, d'Arianespace, et des industriels qui écrivent chaque jour une page de l'épopée spatiale dont nous sommes fiers.

La France, dont le budget spatial est le troisième du monde, dont l'industrie spatiale est la première d'Europe, ne dispose d'aucun texte spécifique régissant les activités spatiales. Cette lacune juridique se devait d'être comblée alors que, comme le remarquait dans un entretien récent le professeur Jacques Blamont, l'un des pères fondateurs du CNES, le secteur privé, l'entreprise s'emparent de l'espace. C'est l'objet du projet de loi relatif aux opérations spatiales, adopté par le Sénat le 16 janvier dernier, et qui nous est soumis aujourd'hui.

Le projet de loi crée un régime d'autorisation des opérations spatiales menées depuis le territoire français ou par des ressortissants français. Ce dispositif, qui s'applique notamment aux lancements d'objets spatiaux, doit permettre à l'État de mieux contrôler les opérations qui seraient de nature à engager sa responsabilité au titre des traités internationaux auxquels la France est partie, en particulier, comme cela vient d'être souligné, pour les activités spatiales qui sont le fait d'entreprises privées et qui, comme telles, s'exercent hors de sa tutelle directe.

Le projet prévoit ensuite, en cas de dommages causés aux tiers, au sol ou dans l'espace aérien, lors d'une opération autorisée, une répartition équitable de la charge indemnitaire entre l'État et l'opérateur spatial, dont la contribution est plafonnée. Il permet ainsi, tout à la fois, de garantir l'indemnisation des victimes, de sécuriser l'activité économique spatiale et de limiter la charge susceptible de peser sur les finances publiques.

Dans un souci de sécurité des relations entre les acteurs du secteur spatial, le projet de loi limite également les possibilités de recours entre les participants à l'opération, instituant un régime de responsabilité adapté à ce secteur, conforme aux règles exposées dans la Convention de Paris en matière d'énergie nucléaire.

Le projet de loi permet également à l'État de mieux encadrer l'activité des exploitants primaires de données d'observation de la Terre d'origine spatiale, comme le font de nombreux pays dont, tout récemment, l'Allemagne, pour des motifs de sécurité nationale et afin d'assurer, là aussi, le respect de ses engagements internationaux. Il traite ponctuellement de la question spécifique des brevets d'invention, pour les découvertes réalisées au moyen des objets spatiaux immatriculés par la France.

Enfin, il confirme le rôle du CNES, par délégation du ministre chargé de l'espace, c'est-à-dire vous, madame la ministre, en matière de contrôle et d'établissement des réglementations dans le domaine spatial, et donc de délivrance des autorisations, mais aussi de sécurité et de police spéciale du Centre spatial guyanais de Kourou dans une nécessité de cohérence entre les compétences des différents services de l'État. Je tiens ici à remercier tout particulièrement ma collègue Chantal Berthelot qui s'est associée à notre réflexion.

En résumé, le projet de loi vise à sécuriser les pratiques actuelles et non à faire obstacle aux activités des opérateurs.

Il existe, sans doute, deux sortes de projets de loi, ceux dont l'examen rassérène, dont on sort immédiatement content, et ceux, plus exigeants, comme celui dont nous sommes saisis, dont la lecture vigilante s'accompagne de l'insatisfaction engendrée par le désir d'en attendre davantage. M'inscrivant dans la même orientation que celle suivie par le Sénat lors de l'examen de ce projet de loi, je vous proposerai, au nom de la commission des affaires économiques, des amendements visant à mieux prendre en compte la réalité concrète des activités des opérateurs et donc à les faciliter.

En effet, j'ai pu organiser, avec les représentants des grands acteurs, publics et privés, des opérations spatiales, plusieurs réunions de travail et de concertation sur ce texte. Je les en remercie vivement. Au cours de ces heures passées ensemble, les échanges ont été courtois, mais attentifs et denses. Les avis éclairés de ces praticiens d'un secteur économique qui est d'une importance majeure pour notre pays m'ont permis de mieux apprécier, bien sûr, les attentes des opérateurs, mais aussi le caractère perfectible du texte qui nous est soumis.

Je me réjouis que le fruit de ces réflexions se soit articulé harmonieusement avec l'examen du texte du projet de loi par les membres de la commission des affaires économiques. Permettez-moi, par conséquent, de vous présenter brièvement, au nom de la commission, les cinq principales modifications que je vous demanderai d'apporter au texte.

Elles portent sur les définitions, afin de mieux préciser la fin de la phase de lancement, tout en introduisant la définition de la phase de maîtrise qui lui fait suite ; sur les procédures d'autorisation, pour simplifier les conditions requises pour les lancements à l'étranger ; sur l'obligation d'assurance ou de garantie financière, pour permettre qu'en dehors des phases de lancement ou de manoeuvre de l'objet spatial l'opérateur puisse, comme c'est le cas actuellement, être son propre assureur ; sur la responsabilité de l'opérateur, précisée dans l'espace et dans le temps ; enfin sur les missions du CNES, afin de préciser la délégation qui les lui confie.

Ces amendements devraient rendre le travail réglementaire qui incombe au Gouvernement beaucoup plus simple, puisqu'ils précisent, en particulier, le contenu des décrets d'application de la loi. Les opérateurs et moi-même, nous serons très attentifs à leur élaboration. Je vous remercie, madame la ministre, de nous avoir d'ores et déjà permis de travailler, avec vos services, très en amont, sur les projets de décrets portant sur les thèmes les plus fondamentaux, comme le contrôle, l'autorisation ou la licence. J'y vois la traduction du renforcement du rôle de contrôle de l'action publique par le Parlement, que nous souhaitons tous ici.

Mais on ne peut s'arrêter là, et nous devons continuer cette concertation, parallèlement à l'examen du projet de loi par nos deux assemblées. Elle seule permettra que le projet de loi soit vraiment l'outil de compétitivité juridique que nous attendons.

Enfin, ce texte peut être le premier élément du socle sur lequel doit se fonder une nouvelle dynamique pour la politique spatiale de la France, telle qu'elle a été dessinée par le Président de la République le 11 février 2008 à Kourou, dans ce Centre spatial guyanais dont nous sommes fiers et qui est destiné à être le port spatial de l'Europe.

Per aspera ad astra, la rigueur du texte législatif qui nous est soumis ne doit pas, en effet, faire oublier l'esprit qui y préside et qui reste celui des pionniers et des découvreurs.

C'est pourquoi il convient de se féliciter que le traité de Lisbonne fasse de l'espace une compétence partagée entre l'Union européenne et les pays membres. Les États membres de l'Agence spatiale européenne, l'ESA, se réuniront au moment de la présidence française pour décider des programmes à venir. Notre responsabilité est grande : un budget spatial national qui représente 40 % de l'ensemble des budgets spatiaux européens, une industrie française qui représente, elle aussi, 40 % de la valeur ajoutée de l'industrie spatiale européenne, nous imposent d'apporter une nouvelle dynamique à l'Europe de l'espace. Nous seuls pouvons le faire.

Il nous faut, pour commencer, et après les longs débats qui se sont heureusement conclus, sur le programme européen de radionavigation par satellite, Galileo, asseoir une nouvelle gouvernance pour l'Europe de l'espace, car la structure politique doit être à la hauteur des réalisations et des projets technologiques. Faut-il rappeler que 80 % des satellites de communication actuellement en service ont été lancés par une fusée Ariane et qu'Arianespace détient 70 % du marché commercial des satellites ?

Alors que de nouveaux pays, comme la Corée du Sud ou le Brésil, après la Chine, l'Inde ou le Japon, se lancent résolument dans un marché spatial en pleine expansion, l'Europe et la France doivent poursuivre et intensifier leurs efforts dans ce domaine. Mais elles ne le pourront qu'en retrouvant l'esprit de conquête pacifique qui vit naître l'aventure spatiale française sous l'impulsion du général de Gaulle, au début des années 60.

La réflexion engagée sur les bases d'une nouvelle politique spatiale et sur la gouvernance du spatial en Europe, dans le remarquable rapport rédigé, au nom de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, par mon ami le sénateur Henri Revol, rapporteur du projet de loi au Sénat, et par notre regretté collègue Christian Cabal, dont la mémoire reste pour moi associée à ce travail, doit pouvoir aboutir à des propositions concrètes. Une loi de programmation spatiale, comme le préconisaient les deux auteurs, ne serait-elle pas opportune ?

Les perspectives offertes par l'espace sont, comme lui bien sûr, infinies, tant dans le domaine de l'utilisation – comme la télévision, les télécommunications, la navigation, la santé, l'éducation ou le développement durable – que de l'exploration. Ni l'Europe ni la France ne peuvent rester en retrait de cette aventure. Le réenchantement du monde que certains appellent de leurs voeux ne peut être en effet, pour citer le paléoanthropologue Pascal Picq, que celui des connaissances. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

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