Découvrez vos députés de la 14ème législature !

Intervention de Jean-Jacques Candelier

Réunion du 9 avril 2008 à 15h00
Opérations spatiales — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Jacques Candelier :

Monsieur le président, madame la ministre, chers collègues, je constate que la séance est plus calme en ce moment qu'à quinze heures, que l'on compte plus de spectateurs dans les tribunes que d'élus présents. C'est l'habitude pour certains sujets de spécialistes même si, en l'occurrence, je n'en suis pas un. À première vue, en effet, on pourrait penser que la conquête spatiale n'est pas vraiment du ressort du législateur. Ce projet vient d'ailleurs combler un vide juridique, ce qui est symptomatique.

En réalité, dorénavant, cette question est essentiellement perçue aux yeux du public comme étant d'ordre technique : nous constatons que nous sommes capables d'envoyer des engins et des personnes au-delà des frontières de notre atmosphère, et de plus en plus loin grâce aux avancées technologiques et scientifiques. Preuve de la relative banalisation du phénomène, les envois de fusées et de satellites sont désormais l'objet d'une couverture médiatique minime. Il faut bien l'avouer, depuis quelque temps, l'aventure spatiale a quelque peu perdu de sa superbe. Elle passionne moins le grand public, après les grandes espérances qu'elle avait suscitées il y a quelques décennies.

Cependant, nous le savons tous, elle reste absolument indispensable. En effet, la plus grande partie de nos moyens de communication, de nos technologies, de notre sécurité et de notre défense, dépend fortement des activités spatiales. Cela a très clairement été souligné dans le récent rapport d'information sur les enjeux stratégiques et industriels du secteur spatial.

Un certain effort dans ce domaine se révèle donc obligatoire, qu'il soit financier – à travers le financement de nos agences spatiales et des programmes de recherche – ou qu'il se concrétise par notre volonté de créer un cadre juridique sécurisant pour l'ensemble des opérateurs, aussi divers soient-ils. Ce dernier point est particulièrement important. Alors que le rôle central était celui de l'État, les opérations spatiales se réalisent aujourd'hui essentiellement par le privé. Les déréglementations, les privatisations et la dilution des participations de l'État n'ont pas épargné ce secteur.

Une certaine époque est révolue, celle de la guerre froide, où la conquête de l'espace était un champ de compétition qui permettait de juger de l'avancée technologique de chaque bloc. Or, à l'heure actuelle, la dimension symbolique et le prestige national de l'aventure spatiale ont presque complètement cédé la place à des activités commerciales dans le cadre d'un marché concurrentiel mondial. Je cite à cet égard les entreprises Eutelsat, Astra, EADS, ou l'entreprise semi-publique Arianespace ; toutes ou presque fabriquent des satellites, lancent des fusées et sont des acteurs de l'aérospatial. Des opérateurs à bas coûts sont apparus et les lancements se banalisent.

Dans ce contexte, l'enjeu majeur est bien celui de notre maîtrise des activités spatiales. Ce texte y contribue sans conteste. Il me semble ainsi particulièrement intéressant que les opérations spatiales soient désormais soumises à une autorisation nouvelle de certification d'intégrité morale, financière et professionnelle. Le présent projet crée, en effet, un régime d'autorisation des opérations spatiales menées depuis le territoire français. Ce dispositif, qui s'appliquera notamment aux lancements d'engins, permettra à l'État de mieux contrôler les opérations de nature à engager sa responsabilité au titre des traités internationaux.

À mon sens, il est tout à fait logique que des comptes soient rendus, non pas sur les seules dimensions techniques des opérations et des projets, mais également sur leur finalité. Il convient à cet effet de réunir plusieurs conditions. D'une part, il faudra que les objectifs de la politique spatiale nationale et européenne soient complètement remis à plat et déterminés après un vaste débat national, voire européen. Cela me semble être le premier impératif. Une loi de programmation spatiale sera sans doute nécessaire pour qu'un débat d'ampleur sur la politique spatiale puisse avoir lieu. D'autre part, il faudra que le ministre compétent pour octroyer les autorisations d'activité ait à sa disposition un Centre national d'études spatiales avec des moyens renforcés.

Nous espérons que cet organisme, chargé des contrôles de conformité technique et des immatriculations, disposera des moyens humains et financiers nécessaires à l'exercice serein de ses missions. Je note que, concernant le budget du Centre national d'études spatiales, si le contrat pluriannuel a donné pour la première fois une visibilité à moyen terme, la subvention n'augmente que de 1,5 % par an, soit deux fois moins que l'inflation.

Par ailleurs, dans ce secteur, les dommages causés à l'occasion d'accidents peuvent être très importants et la responsabilité financière de l'État du territoire de lancement peut être engagée d'après les règles internationales. C'est donc a priori d'un bon oeil que je vois l'instauration d'un régime d'autorisation permettant à la France d'assurer le contrôle sur les activités spatiales, d'obliger les opérateurs à apporter les garanties financières nécessaires et de limiter ainsi la responsabilité de l'État.

Je formulerai néanmoins une remarque : aussi heureuses que puissent être ces nouvelles dispositions, elles n'auront réellement d'intérêt que si elles sont suivies, au moins au niveau européen, d'une harmonisation de tous les États membres, afin d'éviter les chantages à la délocalisation d'entreprises spatiales au niveau de l'Union européenne. Nous savons tous en effet que les rapports de forces internationaux pour le contrôle de l'espace sont loin d'avoir disparu. Leur forme est plus diffuse, du fait de l'émergence de nouveaux acteurs, du fait, aussi, d'une certaine globalisation des technologies. À titre d'exemple, les États-Unis, la Chine, la Russie, l'Inde ou le Japon augmentent fortement leurs investissements spatiaux.

Enfin, j'ai l'impression que, hormis la sécurisation du domaine spatial, notre réflexion devrait aussi porter sur deux aspects : notre ambition spatiale commune et l'utilisation que nous faisons de l'espace. Premièrement, on peut légitimement se poser la question de savoir si le contrôle et l'accès à l'espace ne servent pas à conforter la domination et la suprématie militaire, technologique et culturelle de tel ou tel pays sur les autres. Ce sujet majeur ne doit pas être absent de nos débats. Disons-le clairement : l'espace est largement américain et les États-Unis représentent plus de 90 % du total des investissements consacrés à l'espace militaire.

Par ailleurs, en ce qui concerne le programme Ariane, si la longue coopération des pays européens se révèle incontestablement positive et fructueuse, il s'agit maintenant aussi de s'assurer de l'utilité et de l'intérêt des sommes astronomiques – c'est le cas de le dire – qui y sont consacrées. C'est dans ce cadre que je pose la question de la réforme de l'Agence spatiale européenne, de la clarification de ses compétences avec celles de la Commission européenne et, surtout, de l'amélioration de l'information et du contrôle parlementaire sur ces questions difficiles.

Il est un autre sujet qui concerne l'utilisation de l'espace : le lancement de nos déchets terrestres les plus dangereux. L'espace a-t-il vocation à être la gigantesque poubelle de l'humanité ? Cette question, qui peut vous paraître aujourd'hui insensée, voire saugrenue, ne le sera certainement plus à l'avenir. C'est pourquoi je voudrais rappeler le principe de non-appropriation. Si, en théorie, l'espace relève du patrimoine commun de l'humanité – selon les termes de la déclaration de 1963, adoptée à l'ONU –, et si le droit de l'espace prévoit que son exploitation et son utilisation se fassent dans l'intérêt de l'humanité, je considère que ces paroles ne doivent pas en rester au stade des bons principes. Au contraire, le droit interpelle directement notre capacité à empêcher que l'espace ne soit un moyen supplémentaire de domination exclusive au service de certaines puissances économiques ou politiques.

Chers collègues, vous le voyez, je suis loin de partager et d'approuver la vision idyllique de l'épopée spatiale de l'humanité parfois contée aux Français. Il existe une grande différence entre une maîtrise de l'espace pour tous et sa surexploitation, voire sa saturation, à des fins mercantiles. Le rêve actuel est celui du fantasme d'une conquête spatiale inspirée par la paix, la fraternité et la solidarité entre les peuples. Il me semble évident que cet objectif louable reste largement à concrétiser.

Aussi, sans chercher aucunement à mettre un frein à l'avancée spatiale sous l'emprise de je ne sais quelle pensée obscure de repli terrestre, force est de constater que les conditions ne sont pas encore tout à fait réunies pour que les activités spatiales soient entièrement mises au service de l'ensemble des peuples de la planète. Certes, les opérateurs du secteur et l'État français doivent pouvoir disposer d'un environnement juridique et législatif sûr, et c'est précisément à quoi doit s'attacher ce projet.

Cependant, rien ne garantira sa pleine application – on le voit, par exemple, avec le sous-financement manifeste du Centre national d'études spatiales –, ni son efficacité dans un monde où la concurrence et le dumping législatif font rage. C'est pourquoi le groupe de la Gauche démocrate et républicaine est amené à s'abstenir sur ce texte.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion