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Intervention de Marie-Christine Lepetit

Réunion du 18 mai 2011 à 16h00
Mission d'information sur la compétitivité de l'économie française et le financement de la protection sociale

Marie-Christine Lepetit, directrice de la législation fiscale :

Pour la direction de la législation fiscale, des réformes de la structure de nos prélèvements obligatoires peuvent en effet changer la donne sur le terrain économique. Mais si des marges de manoeuvre subsistent pour les prochains mois et les prochaines années, elles sont cependant limitées.

Je partirai d'un travail que nous avons préparé avec le prédécesseur de M. Ramon Fernandez à partir de la fin de 2007 et qui a donné lieu à une publication à la mi-2008 : la revue générale des prélèvements obligatoires. Il s'agissait pour nous d'établir, à la demande des autorités publiques, un diagnostic sur la situation de nos prélèvements fiscaux et sociaux afin d'essayer de déterminer les meilleurs choix possibles pour les mois suivants. Une grande partie de ce diagnostic a été reprise dans le rapport de la Cour des comptes comparant la situation de la France et celle de l'Allemagne à cet égard.

Nous avions tenté de caractériser certaines failles de notre système, mais aussi et surtout de cerner les stratégies envisageables pour l'organisation des prélèvements obligatoires, en comparant leurs mérites. Très synthétique, le document ne rendait que partiellement compte de notre travail mais il faisait apparaître clairement que l'on n'aboutissait pas aux mêmes choix suivant que l'on privilégiait une certaine neutralité des prélèvements entre capital et travail, ou la recherche d'une croissance à fort contenu en emplois – ce qui impliquait d'alléger les prélèvements pesant sur le travail –, ou encore des modèles de concurrence fiscale, ce qui amenait à rechercher des assiettes non délocalisables et donc à s'appuyer davantage sur la taxe sur la valeur ajoutée – ou sur les impôts indirects en général – et sur les impôts environnementaux que sur les impôts pesant sur le capital. Nous nous sommes rendu compte, en particulier, que selon l'importance donnée au taux de croissance ou au taux de chômage, on parvenait à des équilibres de prélèvements très différents.

Cela m'amène à appuyer ce que disait tout à l'heure M. Ramon Fernandez, à savoir qu'avant de s'engager dans des réallocations de prélèvements obligatoires, forcément compliquées et difficiles, il importe de clairement identifier les objectifs que l'on poursuit… et de bien vérifier qu'ils restent d'actualité, car les circonstances économiques, politiques ou extérieures peuvent avoir changé la donne entre-temps.

Les choix que proposait le Gouvernement dans le document précité conduisaient à privilégier trois grands objectifs : la justice fiscale ; le développement durable à travers les impôts environnementaux ; et la compétitivité, à travers la réforme de la taxe professionnelle, considérée alors comme devant avoir la priorité dans toute réorganisation de nos prélèvements obligatoires.

Concrètement, dans la période qui s'est écoulée et pour s'en tenir aux mesures phares, vous avez voté cette réforme de la taxe professionnelle, une importante augmentation du crédit d'impôt recherche destinée à favoriser les investissements de croissance et des mesures visant à faciliter le financement de nos entreprises, en particulier des petites et moyennes entreprises, qui en avaient bien besoin.

Quatre ou cinq ans plus tard, j'observe que nous avons corrigé quelques-uns de nos défauts, mais que certains pays parviennent à vivre assez bien avec des défauts assez voisins des nôtres ! C'est ainsi que l'Allemagne, qui a peu fiscalisé son financement de la protection sociale, ne paraît pas éprouver, de ce fait, un handicap de compétitivité particulier. La Cour des comptes a noté qu'elle avait su, mieux que nous, mettre sa stratégie fiscale au service de sa compétitivité, sans doute parce qu'elle avait été plus vigilante sur le long terme, ou simplement plus consciente des conséquences que pouvaient avoir sur l'organisation de ses prélèvements obligatoires les contraintes liées à une économie ouverte. Et de manière assez surprenante, alors que nous attendions que la cour nous invite à gérer nos finances publiques avec davantage de prudence, elle a insisté sur l'importance de se tenir à cet objectif de compétitivité et sur la différence notable qui existe, en ce domaine, entre la France et l'Allemagne.

La réflexion que vous menez invite à réfléchir à ce que pourraient être les prochaines étapes. Ces dernières années, pour ce qui est des assiettes, nous avons plutôt axé l'effort sur l'investissement en consolidant les options prises en faveur de l'emploi. Aujourd'hui, la question des choix à faire se pose.

M. Ramon Fernandez s'est interrogé sur la manière dont on pourrait faire évoluer les financements existants de la protection sociale. Pour ma part, je poserai la question suivante : si une réallocation était jugée souhaitable pour des raisons de compétitivité, quelles seraient nos marges de manoeuvre et nos contraintes, sachant que notre niveau de prélèvements est déjà assez élevé et que nous sommes soumis à une forte compétition internationale ?

Malgré ce niveau élevé de prélèvements obligatoires et cette compétition féroce, nous avons des marges de manoeuvre – les travaux de la Cour des comptes et du Conseil des prélèvements obligatoires l'ont démontré. Il suffit d'ouvrir le tome II de l'Évaluation des voies et moyens pour comprendre qu'une réflexion est en cours sur les dépenses fiscales. Et, qu'il s'agisse des impôts sur la consommation ou des impôts sur les « externalités négatives », le niveau plutôt modeste de nos impôts indirects ouvre la possibilité d'évolutions.

Même s'il ne faut pas généraliser, j'insisterai aussi sur la très grande capacité des contribuables, ménages ou entreprises, à adapter leur comportement en fonction des choix faits en matière de prélèvements obligatoires et en fonction de la gouvernance fiscale. Certaines assiettes sont ainsi très sensibles : pour s'en convaincre, il suffit de consulter les rapports de l'Organisation pour la coopération et le développement économiques, qui ne concernent d'ailleurs pas que la France. Force est de constater, par exemple, qu'aujourd'hui, dans notre pays, le taux de l'impôt sur les sociétés est à un niveau élevé, ce qui constitue un sujet de préoccupation pour le moyen terme. S'ajoutant aux prélèvements sur la détention de capital, les prélèvements de droit commun sur l'épargne atteignent également – surtout en comparaison de ce qui se fait à l'étranger – des niveaux importants qui doivent tout au moins nous inciter à la prudence.

Prudence qui s'impose d'autant plus que la compétitivité et la réorganisation du système des prélèvements obligatoires ne sont pas des problèmes purement économiques ou fiscaux. Au-delà de la description technique des phénomènes mathématiques et économiques à l'oeuvre dans ces matières, la dimension psychologique n'est pas à négliger : l'impôt doit être accepté par les citoyens et cela peut constituer une autre limite à l'exercice de réallocation.

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